L'ésotérisme se niche parfois dans les chambres inoccupées du vieux Winter Palace à Louxor. Les jours ordinaires, aucune présence suspecte ne se faufile ici mais, en Haute Egypte, les jours ordinaires sont rares. Il n'existe pas de preuves concrètes de ces présences mais ceux qui les ont perçues ne s'en sont jamais remis.
Une existence hypothétique ne veut pas dire pas d'existence du tout.
L'ésotérisme détourne le regard de la pseudo-normalité de l'environnement immédiat. Je ne parle pas de cet ésotérisme de pacotille que les mages écrivains de la fin du XIXe siècle se plaisaient à chatouiller mais de celui que Paracelse ou Basile Valentin retenaient prisonnier dans leurs cornues transparentes. Pas d'apparitions grimaçantes mais des bruissements d'ailes, les déplacements furtifs des félins de la mythologie égyptienne, Bastet, Mafdet, Sekhmet ou le grand chat cendré d'Héliopolis.
Dans les couloirs du Winter Palace s'affairent des serviteurs à turban morts depuis longtemps, des lords anglais défunts, des héritages en déshérence, des résidents baragouinant des idiomes parlés dans les royaumes balkaniques. L'ésotérisme est chez lui dans les montagnes des Carpates comme dans les combles et les recoins du Winter Palace.
L'ésotérisme ne s'impose pas, il se mérite et se dérobe quand on croit l'avoir saisi. Il ne s'observe pas mais se contemple. Il est souvent le fruit d'une rencontre fortuite ou de circonstances propices à la manifestation d'un prodige.
Lors d'un récent séjour, je suis resté cloîtré dans ma chambre du premier étage. Je n'ai pas fait un pas dans les jardins, encore moins dans la ville ou sur la rive des morts. Je n'avais pas peur de ce qui se tient derrière les portes mais je n'avais nulle envie de l'affronter bille en tête. Je me disais qu'avant il faudrait revenir et revenir encore, ne rien précipiter, marcher sur la pointe des pieds et regarder couler le Nil depuis les hautes fenêtres de ma chambre.
Dans l'aile nord, je remarquai trois chambres qui n'étaient jamais occupées. On y faisait pourtant tous les jours le ménage. L'employé d'étage m'expliqua qu'elles étaient louées à l'année par une personne qui n'avait jamais pointé son nez jusqu'ici. Il ajouta : Comme ça, quand elle viendra, tout sera prêt pour la recevoir. Je trouvai cette précision digne des Maximes de Ptahotep et la rangeai dans un coin de ma mémoire.
Je m'imagine l'ésotérisme comme un serpent hypnotisant ses proies dans les penderies de l'hôtel, s'introduisant dans les chambres par les conduits d'aération, à l'insu de clients insouciants ne soupçonnant pas l'existence des choses cachées.
Je me disais que mon destin était lié à celui de cet hôtel et que je pourrais bien y pousser mon dernier soupir en me prenant les pieds dans le tapis rouge de l'escalier aux balustrades de fer forgé. Une mort en vol plané dans le décor d'un autre siècle. Une mort tragique et élégante.
Quand je déambule dans les couloirs à la recherche d'une sortie, j'entends des murmures derrière les portes, des chuintements. Sur l'autre rive, en face de l'hôtel, la Cime distille des angoisses anciennes. Au crépuscule, douceur et légère inquiétude. Inpou emprunte le sentier qui conduit au sommet de la montagne. Des silex roulent sous ses pattes.
Dans le temple d'Ipet Sout commence le rituel de la 7e heure de la nuit ,destiné à repousser le Grand Serpent.
A une heure du matin, le Winter Palace commence à oublier qu'il existe.
Sur les réseaux, il est présenté comme un établissement suranné où la Stella est quatre fois plus chère qu'ailleurs et le service impeccable. Le restaurant sert des plats d'inspiration française avec un léger goût de cuisine orientale. Seuls les desserts sont vraiment ésotériques.
Une nuit, j'ai eu envie de lire une fiction gothique. Je descendis dans le salon bibliothèque et ne trouvai sur les rayonnages que des ouvrages de nécromancie très usés car ils avaient été consultés de nombreuses fois.
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