Vision modifiée du réel

Aux premières lueurs de l'aube, j'ai compris : j'ai besoin de Kemet.

Dans la lumière mourante du crépuscule j'ai pensé : j'espère que demain, à la première heure, le Disque se lèvera à l'Est du Double Royaume.

Quel sens donner à un pays dont les pensées remontent le cours du fleuve ? Dans l'univers, tout vient du Nord, en Egypte tout provient du Sud aux implications chamaniques.

Anty savait réveiller les Esprits rustiques cachés dans son jardin entre les branches de tamaris ou dans la rondeur d'une grenade. Les Esprits proches de la Nature n'ignorent rien de ses secrets, ne se contentent pas de structures définitives, de rêves impossibles, de sombres histoires de rivalités. Ils traquent les combinaisons délectables, les syntaxes subtiles. Discrètement, ils contribuent au développement spirituel des jardiniers. Assis le dos contre un arbre, on peut attendre sereinement la fin du monde qui est le retour provisoire du désordre.

Depuis qu'il connaissait le nom des Esprits de son domaine, Anty ne cherchait plus d'autres compagnons. Il scandait leurs patronymes comme des mantras pouvant conduire à la révolution tapie dans le réseau des racines des plantes et des arbres. Le jardin est ce lieu de transmutation habité de visions modifiant le réel.

Quand les canaux furent ensablés, les Esprits du jardin se réfugièrent dans des amulettes alignées dans les vitrines des musées. Elles observent les visiteurs et, de temps en temps, en capturent un pour lui offrir les clefs de la Magie de Kemet. Pour autant, l'énigme reste entière même si l'eau a recommencé à circuler dans les canaux.