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UNE RELATION TOXIQUE



J'ai rencontré l' Affrit en sortant de chez moi un matin au calme trompeur. J'habite dans une belle maison de Waset, avec jardin, située dans une rue tranquille et élégante. Que pouvait bien faire cette créature dans mon secteur ? D'ordinaire, les Affrits vivent dans le désert, les montagnes où les décharges à la périphérie de la ville.

Il était sale mais n'avait pas l'air bien méchant. Un cheveu sur la langue et une tendance au psittacisme rendaient ses propos amusants. Il avait réussi à capter mon attention et comme il m'intriguait, je l'écoutai.




  • Tu as l'air tout chose. Je te fais peur ?

  • Non, pas vraiment, je suis surpris de te voir ici et très incommodé par ton odeur épouvantable.

  • L'odeur sui generis des Affrits a plus de corps que celle des humains. De plus nous n'avons pas les moyens de nous offrir de coûteux déodorants.

  • Je pensais que tes semblables étaient plutôt taciturnes or tu m'as l'air bien pipelet.

  • Nous nous entretenons volontiers avec les êtres que nous aimons.

  • M'aimer ? Tu me rencontres pour la première fois, tu ne me connais pas.

  • Tu dois savoir que nous avons le pouvoir de nous rendre invisibles, de nous cacher dans le feu, dans l'eau ou sous l'écorce des arbres. Je t'observe depuis longtemps, je voudrais que nous devenions plus intimes. J'aimerais partager tes repas, tes loisirs, tes pensées et même ton lit.

  • Tu ne manques pas d'air. Et si je refusais ?

  • Tu serais frappé de mort subite. L'entrée de la Douat te serait refusée car le premier seuil est gardé par un Affrit supérieur et inflexible.

  • Tu cherches à m'effrayer mais je ne crois pas à tes menaces. Isis et sa sœur me protégeront.

  • Erreur, les deux sœurs règnent sur l'univers mais pas sur les Affrits.


J'étais plus troublé que je ne voulais l'admettre. Cette créature commençait à m'intriguer. Je craignais que mes voisins me voient en sa compagnie.


  • Dégage, avorton, retourne dans ton cloaque, je ne veux rien avoir à faire avec toi !

  • Ne crains rien pour tes voisins. Il n'y a que toi qui peux me voir. Les autres vont penser que tu dérailles et parles tout seul pour te calmer les nerfs. Avec moi, ta vie prendra un autre relief. Tu échapperas à tes automatismes existentiels, à tes limitations cognitives et même aux intoxications au mercure provoquant des troubles du comportement. Je vais prendre soin de toi.

  • Occupe -toi de tes affaires. Jette ton dévolu sur mon voisin qui est déjà complètement à l'ouest et prêt à suivre un engin comme toi.

  • Non, c'est toi que j'aime, je ne te lâcherai pas, je t'arracherai aux griffes du malheur, à une existence médiocre et erratique. Ta vie vaudra la peine d'être vécue.



Je pressentais que j'allais m'aventurer dans une relation toxique mais je commençais à être séduit et surtout dévoré d'une curiosité sans doute malsaine mais revigorante. Il éprouvait pour moi de l'empathie. Pourquoi ne pas profiter de ses bonnes manières, de son affection et de ses prometteuses déclarations d'intention.

Les travaux d'approche se poursuivirent trois décades.

Un matin, je démissionnai de toutes mes charges au palais, je fermai ma maison et je le suivis en direction du désert. Comme il marchait devant moi je ne vis pas le sourire ambigu sur ses lèvres et la lueur inquiétante dans la prunelle de ses yeux jaunes.

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