Je fus jeté sans ménagement dans la crypte établie sous l'Icherou, le lac sacré de Mout au sud du téménos amonien. Un lac en forme de fœtus plein des eaux amniotiques d'une déesse susceptible de donner la vie ou la mort.
Je n'étais pas arrivé ici par hasard, c'était le résultat d'une demande consciente, pleinement assumée. Je voulais sentir le sol se dérober sous mes pieds. Je ne voulais pas choisir entre la Lionne et le Vautour. J'avais dans la bouche un goût de sang et de pourriture.
A l'entrée de la crypte, les Emissaires de Sekhmet détournèrent les yeux et refusèrent de me parler. Ils étaient là pour bloquer les issues mais aussi pour interdire l'accès aux Mystères du Félin et de l'Oiseau charognard. Le danger était palpable mais l'attrait irrésistible. La fascination envahissait mon esprit fragilisé par une émotion intense.
Il n'y a rien dans cette crypte. Ce n'est pourtant pas une tombe mais un lieu pour ensevelir tout ce qui ne peut plus être. Epuration drastique des états antérieurs, des affections, des répugnances, des sédimentations. Entre ses mâchoires puissantes, la Lionne broie les matières putrides que le Vautour divin va dévorer. Avec ta chair, je ferai de l'or. Prétendre qu'on ne peut faire de l'or qu'avec de l'or ne sert qu'à tromper les profanateurs.
Pour que le charme opère, l'obscurité doit être discontinue. On sent que quelque chose va traverser les parois de la crypte au moment le plus inattendu. Il ne faut pas dormir ni baisser la garde ni se laisser surprendre par une attaque surprise dans les ténèbres coagulées.
La tension psychique est à la limite du supportable. Elle agit comme un venin qui paralyse et conduit à un sommeil létal.
Je me souviens mal de ce qui est arrivé dans cet espace replié sur lui-même et ouvert sur l'infini. Je n'avais qu'une idée, ne plus sortir d'ici, avoir la patience d'attendre que le poison devienne une thériaque. Je voulais seulement être le fœtus du Vautour et de la Lionne, mères ogresses d'une tendresse surprenante.
J'étais en train de me consumer de l'intérieur mais tout mon corps était glacé. Plus le malaise s'intensifiait et plus je redoutais les épreuves. Cette crypte est un enclos de réclusion où il ne faut pas se laisser submerger par la colère, la culpabilité ou le regret de ne pas pouvoir aller plus loin.
Une foule d'images des jours anciens remontait dans les méandres de ma mémoire. Les blocs polis de la crypte furent apportés ici par les Ancêtres d'Occident.
Je ne parle pas d'une vision mais d'une plongée dans les eaux d'un lac qui est aussi un marécage, un océan, un milieu propice aux métamorphoses lentes ou brusques. Des métamorphoses qui font tomber les liens et rendent téméraire.
Si j'étais une lionne, je reviendrais ici à chaque crépuscule.
Si j'étais un vautour je commencerais à planer au-dessus du lac dès les premières lueurs de l'aube.
Je ne suis pas sorti de cette crypte.
Je suis mort. Je n'ai jamais été aussi vivant.
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