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Une histoire d'encre et de calame

L'objectif n'était pas de traverser la frontière mais de l'inverser. Il n'est pas permis de divulguer ce qui se passe quand l'inversion est réussie. Nous ne sommes pas à Khemenou, à Pé, Dep ou Nekhen. Nous ne sommes pas dans un temple ou une tombe mais dans un cénotaphe, amalgame des deux et monument où se concentrent les énigmes nombreuses sur les franges.


Le Myste défie la mort avant de s'y abandonner. Si elle porte un masque, il ne l'arrache pas. Il suffit qu'il connaisse le nom qu'elle porte au moment où elle s'approche. Tous les morts ne sont pas des Osiris mais tous subissent un démembrement. Les momies sont des créatures recomposées au moyen de gestes précis et rituels.



Iâmes rédigeait des textes en écriture rétrograde ou en omettant certains signes ou en perturbant l'ordre habituel des hiéroglyphes. Les modes de codage sont innombrables quand on veut dire les choses en les taisant. Le codage n'envisage pas les répétitions, il se contente parfois de légers décalages de sens ou de formes. Tous les serpents n'ondulent pas de la même façon. A ce moment de son histoire, Iâmes ne voulait plus écrire autrement.

Il partageait cette passion que certains beaux esprits prennent pour une perversion avec quelques amis côtoyés dans la prestigieuse Per Ankh de Khemenou-Hermopolis Magna. Au fil des années, ils rédigèrent le Livre des Portes et le Livre des Cavernes. Ces deux recueils ne narrent pas un périple dans l'au-delà, ils exposent la science des dosages et des bons régimes du Feu qu'il faut entretenir dans les fourneaux de Djéhouty. Ni trop ni trop peu. Parfois un Feu humide, parfois un feu de glace et parfois un feu sur le point de s'éteindre parce qu'il n'est pas assez ancien.


Iâmes aimait qu'on lui reproche une pensée alambiquée qui mettait les étudiants en porte à faux et leur faisait perdre l'équilibre au moment où ils devaient sauter par-dessus un précipice. Il serait affligeant de ne lire que des mots rassurants, des textes qui font piquer du nez, des dénouements en queue de poisson qui aplatissent les icônes au lieu de les mettre en relief.


Il expliqua à ses collègues que des mondes nouveaux étaient en gestation dans le Noir, des dieux en attente dans le limon. Des dieux qui ne trouveraient pas de fidèles et ainsi resteraient vierges de toute souillure. Iâmes fonçait droit sur la cible alors qu'on pensait qu'il tournait autour du pot. Il avait appris à tisser dans le temple de Neith à Saïs. Pour lui, le calame et la navette apprenaient à maîtriser les gestes les plus insignifiants qui évitent de s'épuiser quand on poursuit un objectif se dérobant en permanence.


Personne ne connaissait les liens qu'il avait tissés avec les encres qu'il utilisait pour écrire, avec le roseau des calames, avec le bruissement du vent dans les papyrus. Il aimait séjourner dans les marais du royaume du Nord. Il écoutait, observait les abeilles, mâchonnait ses calames et, avant d'écrire, versait trois gouttes d'encre noire dans les eaux de l'Océan Primordial.

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