top of page

UN OISEAU DE MAUVAISE AUGURE

Elle savait qu'il ne faut pas toucher l'écorce d'un arbre les nuits de Lune pleine. Tadibastet était superstitieuse au-delà du possible. Elle ne s'adressait pas à Hathor si elle avait croisé dans la journée un vivant au visage couvert de taches de rousseur. Une bonne ou une mauvaise rencontre dépendait du nombre de mouches qui voltigeaient dans la cuisine. Certains jours, elle n'osait pas rentrer dans cette pièce. Son mari se demandait ce qu'elle faisait toute la journée, comment elle oubliait de préparer comme d'habitude un repas succulent. C'est épuisant de passer tout son temps à épier des signes avant-coureurs. Même les choses les plus familières peuvent devenir terrifiantes : une poule qui s'arrête de manger en vous voyant, le vent changeant brusquement de direction, un escalier qui vous coupe les jambes, une pierre certainement habitée par un esprit malin, une voisine qui vous croise et fait semblant de ne pas vous reconnaître...


La nuit, depuis la terrasse, elle observait le ciel et constatait que les étoiles avaient changé de place, ce qui n'a rien d'anodin et présage une catastrophe imminente.



Fatiguée d'être toujours en alerte, elle consulta une femme qui passait pour être pythonisse bien qu'elle n'ait pas bonne réputation Elle l'écouta avec grande attention et lui déclara qu'elle avait raison d'être méfiante er que le pire était à venir.


Sa fille prétendait qu'elle éreintait tout le monde avec ses sornettes et qu'il serait reposant d'avoir une mère qui ne soit pas un oiseau de mauvais augure. Tadibastet ne tenait aucun compte de ces remarques et exigeait que sa fille ne lui adresse pas la parole le 3e jour de chaque décade. Un malheur est vite arrivé si on ne respecte pas certaines règles.


Tapi dans les roseaux, le crocodile attend le nageur téméraire cherchant à rejoindre sa bien-aimée sur l'autre rive. Sa grand-mère lui assurait qu'il ne faut pas s'éprendre d'une fille vivant sur la rive ouest, surtout si ses ancêtres n'étaient pas tous couchés dans la même nécropole.

Tadibastet portait sur elle une dent de crocodile, talisman précieux pour ceux qui ne veulent pas finir déchiré par une bête sauvage.

Par-dessus tout, elle redoutait les choses qui avancent à découvert, toujours disposées à planter leurs griffes dans votre dos.

Quand elle marchait, elle se retournait tous les 27 pas pour vérifier que personne ne la suivait. La réduction théosophique de 27 donne 9, le chiffre de l'Ennéade héliopolitainne dont la complexité dissimule mal les mauvaises intentions.


Elle trouva un soir une sauterelle morte sur la pas de sa porte. C'était sûr, elle allait faire le grand saut sur le chemin emprunté par les spectres mais c'est sa voisine qui passa de vie à trépas et Padibastet se dit que le coup n'était pas passé très loin et que, la prochaine fois, la flèche ne se tromperait pasde cible. Elle murmura une prière à Neith et fit le geste qui éloigne les ennemis présents et à-venir.


Elle retourna consulter la pythonisse qui lui expliqua qu'elle ne risquerait rien si elle lui donnait 4 debens d'or et 5 d'argent. Elle ne disposerait jamais d'une telle somme, elle était perdue, elle s'attendait au pire qui arriva sous la forme d'un âne échappé qui, dans une une rue étroite, fonça sur elle, la renversa et lui fracassa la tête d'un coup de sabot. Elle savait pourtant que l'âne est un animal séthien. Elle tenait en main sa dent de crocodile et la journée n'était pas annoncée comme néfaste.

Comments


bottom of page