UN NOUVEAU CYCLE D'OCCULTATION

Mc Kenna travaillait au Service des Antiquités du Metropolitan Museum de New York. Certains de ses ombrageux collègues affirmaient qu'il occupait ce poste depuis le milieu du Moyen Empire. Il est vrai qu'il ressemblait plus au roi Senouseret qu'à Indiana Jones : lèvres tombantes, plis d'amertume, grandes oreilles et regard tourné vers l'intérieur.

Pour mettre en Oeuvre ses connaissances vertigineuses, il écrivait des rituels funéraires pour des égyptophiles, assurant même le service après-vente. Ainsi au fil des siècles fit-il de nombreux aller retour entre l'ici-bas et l'au-delà. Il avait bien compris que le surnaturel est régi par des forces inexplicables et qu'il ne faut pas tenter de le prendre à revers au risque de mettre le feu aux poudres.

Mc Kenna s'était installé dans la monotone existence d'un vieux célibataire prisonnier de ses manies et de ses habitudes, ce qui lui laissait le temps de vaquer à des occupations beaucoup moins conventionnelles.

Il avait un seul ami, un médecin légiste du Bronx qui avait été autrefois prêtre momificateur d'Inpou attaché à la meilleure wabet de Waset.

Ils avaient exhumé des archives de la nécropole les modus operandi autorisant une bonne gestion de l'imprévisible, ce qui les mettait à l'abri des actes inconsidérés dans le domaine des rites funéraires.

Tous les vendredis soir, les deux compères dînaient dans un troquet proche du Musée tenu par un Egyptien originaire de la ville d'Athribis dans le Delta. Le menu était toujours le même : falafels, pigeon farci au blé vert, mouloureya, Om Ali en dessert, le tout arrosé de karkadet et de bière Stella. Avec le patron qui était aussi le cuisinier parlant avec l'accent d'un Bédouin du Sinaï, ils évoquaient tous les nobles défunts qu'ils avaient croisés sur les sentiers des montagnes arides de la péninsule. Ils riaient, ils pleuraient, ils savaient que beaucoup de choses étaient perdues.

Le thanatopracteur, debout devant la tombe ouverte d'un ami gardée par un ange de pierre, pensait à la nécropole de Tuna el Gabal où lui-même avait été inhumé plusieurs fois dans le sable tiède alors qu'on récitait des hymnes à Djéhouty-Thot.

Je n'ai rien oublié, murmura Mc Kenna au BA de Pétosiris. Je règle mes dernières affaires, je range mon bureau, je mets un point final à l'embaumement du Président de l'Union mort d'une embolie pulmonaire, je nettoie la table de momification, je brûle les archives compromettantes et je commence à entrer dans un nouveau cycle d'occultation.