Bay avait passé sa vie à s'adapter aux dieux, aux gens et aux circonstances.
Il était prêtre horaire d'Imn dans le temple de Karnak. Son service l'occupait 7 jours par mois. Le reste du temps, il vivait chez lui avec son épouse et ses quatre enfants. Il était heureux et satisfait de son sort. Il ne rêvait pas de choses extravagantes. Le temps s'écoulait doucement avec l'eau de la clepsydre, les présents s'accumulaient sur les tables d'offrandes.
Karnak est une forteresse divine où l'on s'efforce de canaliser l'invisible, d'attirer son attention au moyen de rituels incessants. Les chats y vaquent en toute quiétude.
Le Premier Prophète était un homme accommodant qui ne complotait pas contre le pouvoir en place. On disait même qu'il était très intime avec Sa Majesté. Il maintenait le contact entre les dieux et le roi. Il avait fait paver d'argent le sol de la salle hypostyle afin d'attirer les influences de la Lune. Des dizaines de statues-cube étaient disposées entre les colonnes.
Pour autant, les choses n'étaient pas aussi simples pour Bay. Il lui était difficile de passer de la maison au temple ou du temple à la maison, d'autant qu'il est interdit aux prêtres de parler de ce qui se passe dans le téménos. Bay, qui avait bien compris que Thot aime les silencieux, n'était pas d'un naturel bavard.
Cependant, il vivait entre deux mondes, celui des dieux et celui des hommes, ce qui n'est pas une situation confortable surtout si l'on n'a pas dépassé le stade des antagonismes. A la maison, il était un mari, un père, un oncle. Dans le temple, il circulait entre les lignes, frôlait l'inconnaissable. Sous ses pas s'ouvrait le gouffre des dieux qui dissimulent leur visage derrière des masques.
Imn partageait sa vie tout en le maintenant à distance. Il éprouvait pour ce dieu une affection probablement sans retour. Comment savoir puisqu'ils n'avaient pas de langage commun, aucun signe de reconnaissance.
Bay avait entendu dire que le dieu ne résidait pas dans son naos. Chaque matin, le roi ne ritualisait pas pour lui mais pour que le soleil se lève. Un dieu caché n'émet aucun rayonnement lumineux car il serait alors immédiatement repérable.
Je ne crois pas qu'il existe, pensait Bay mais je crois qu'il ne peut pas ne pas exister.
Comme il était interdit de rire dans le temple, Bay se demandait si Imn avait le sens de l'humour, ce qui l'aurait rendu moins distant et aurait permis d'établir un contact sinon physique du moins sensitif.
Cette manie de se cacher fait d'Imn le plus horripilant des dieux. Avait-on besoin de construire un temple aussi gigantesque pour un dieu qui a une prédilection pour le vide ?
Bay comprit trop tard qu'à force de servir un dieu invisible, on finit par devenir transparent.
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