Pépou était un Contraire, il faisait tout à l'inverse des autres. Il pissait accroupi alors que les hommes le font debout, il dormait pendant les heures de travail, il ne caressait pas les chats mais les serpents, il usait de mots à contre-sens et des femmes dans le sens inverse de la marche. Les mauvaises langues prétendaient qu'il préférait les chèvres qui vaquent où bon leur semble.
Les uns le détestaient, les autres raffolaient de ses fantaisies qui donnaient lieu à bien des commentaires.
Pour se déplacer, il marchait à reculons, il commençait à lire un texte par la fin.
Pépou se moquait de ce qu'on disait de lui car il considérait que se plier au sens commun est la pire des idioties. Si vous continuez, vous allez mourir comme tout le monde, disait-il à ses meilleurs amis. En faisant comme tout le monde, on se condamne à disparaître.
Car Pépou avait des amis, surtout parmi les Mages et les Thérapeutes qui ne le lui disaient pas mais savaient qu'il était dans la bonne voie et qu'il serait peut-être le seul à être sauvé au moment du naufrage.
Inutile de préciser que sa divinité tutélaire était Thot qui lui inspirait les paroles et les comportements les plus saugrenus comme avaler des couleuvres, faire prendre aux autres des vessies pour des lanternes et, bien sûr, marcher sur la tête.
Non, Pépou n'était pas épileptique, il jouissait même d'un quotient intellectuel élevé, on dirait aujourd'hui qu'il était surdoué ou asperger. Il était même capable de gagner une partie de dés contre un dieu-lune et un concours de grimaces contre Bès.
On l'invitait dans les fêtes familiales pour rire entre la poire et le fromage. Quand il se penchait en avant et soulevait son pagne pour montrer son cul, l'hilarité était à son comble. Quand il pétait, tout le monde se sentait autorisé à en faire de même. Il faut savoir qu'aujourd'hui encore en Egypte, péter en public est de la dernière inconvenance.
On racontait qu'il avait été autrefois scribe recruteur pour l'armée royale. Il se vit congédié car les seuls candidats qu'il retenait étaient des boiteux, des bègues, des scrofuleux, des innocents, des invertis et des contraires. Cette armée de bancals ne plut pas au Général en chef mais Sa Majesté, qui avait eu vent de l'affaire, demanda à rencontrer ce singulier recruteur.
Avant l'entretien, on expliqua à Pépou que le roi était un personnage sacré qu'on ne regardait pas dans les yeux. On ne le touchait sous aucun prétexte, on ne le contrariait pas.
Le protocole exigeait de flairer le sol devant lui. On se jetait à plat ventre devant les marches du trône, le nez dans la poussière. Il fallait alors attendre que Sa Majesté lunatique vous intime l'ordre de vous relever pour présenter votre requête.
On imagine qu'en présence du roi ces conseils firent long feu.
Pépou escalada quatre à quatre les marches du trône, tordit le nez du souverain, lui massa les épaules en lui disant : J'espère que depuis la dernière fois tout va bien dans ta tête. Le Grand Chambellan faillit tomber dans les grenades. Contrairement à l'un de nos anciens monarques, les Egyptiens ne mangeaient pas de pommes !
Les gardes s'élancèrent pour arracher le roi à cet hurluberlu.
D'un geste, Sa Majesté les repoussa et demanda à tout le monde de sortir afin de tenir avec Pépou un conciliabule secret.
On ne sait ce qu'ils se dirent . On entendit de grands éclats de rire puis, dans la foulée, Pépou fut nommé Directeur de la double Maison de l'Argent. On dirait aujourd'hui ministre des finances.
Le roi se douta-t-il qu'il venait ce jour-là de sauver le royaume de la banqueroute ?
コメント