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Ton ennemi est mort

C'est un peu singulier mais je n'aurais pas voulu être un humain. J'aurais aimé être oublié au moment de la distribution des prix. Les dieux démiurges feraient mieux de s'occuper de leurs affaires. Pourquoi s'obstiner à faire sortir du Noun des tas de choses qui ne servent à rien et sont potentiellement nocives.

Je suis et je ne suis pas, affirme Tem. Il avoue son existence et en même temps il la nie. Une telle idée ne viendrait jamais à un homme, persuadé qu'il existe dans l'absolu. Or, nous n'existons que dans le relatif et dans une précarité notoire. Un déplacement de perspectives au fond d'une lointaine galaxie peut nous mettre hors-jeu. Nous sommes assis sur un siège éjectable, même pharaon sur son trône d'or fin.

Heureusement, nous dormons. Le sommeil est un retour dans les eaux du Noun, un moyen de se passer des inconvénients de l'entropie. Je dors donc je suis, même si les rêves ne sont que des illusions.


J'ai connu un oniromancien qui, à l'ombre d'un pylône, interprétait les rêves. C'était son gagne-pain et il avait bon appétit. Il prétendait que les rêves nous accompagnent dans la solitude de la nuit. Sans eux, nous ne pourrions nous réveiller ou alors dans un état lamentable.

Pour le démasquer, j'inventai de toute pièce un rêve et le proposai à sa lecture. Rapidement, il détecta la supercherie, me tança et me priva de rêves pour un mois lunaire. Il me fusilla du regard et lança : Je n'ai qu'une chose à te dire, tu es mort, ton ennemi est mort.

Privé de Noun, j'ai failli crever. Je regrettais plus que jamais d'être incarné. Les morts continuent-ils à rêver ?


Je voulais oublier les codes, la tyrannie des émotions, la domestication, les apprivoisements, les brûlures du soleil et l'inquiétante mélancolie des étoiles.

Ne plus rien être est une entreprise difficile. Par où commencer et comment en finir, aller du terne à la brillance et inversement ?

Je voulais m'introduire dans l'imprévisible, ne plus reconnaître personne, débusquer l'inattendu dans une Kemet ne tournant plus à la même vitesse.


J'ai soudain compris que le dieu démiurge était un ogre qui poussait les montagnes à grandir, nous empêchait de participer au dialogue, nous condamnait à une vie future dont je ne voyais pas l'utilité.

Les Kémitiens ont repoussé l'idée d'un dieu unique. Leurs nombreuses cosmogonies parlent des mondes multiples qui nous entourent et dans lesquels nous vivons tour à tour. Des choses complexes que nous avons du mal à saisir, même avec l'aide de Ptah, de Djehouty ou du vieil Atoum.

Longtemps après, je suis tombé sur l'oniromancien entouré de gens avides de connaître le sens de leurs rêves. Je commençais à m'éloigner quand il me dit : Comment as-tu fait, toi qui n'a pas envie de vivre, pour éviter tout ce qui nous dévore ? Tu ressembles à un bébé avec une tête de mort.

Je ne lui répondis pas. Comment lui avouer que mon ennemi étant mort, il me restait à faire semblant de vivre.

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