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THIN AIR

Il était difficile de partir à la poursuite de ses rêves. C'était un rêveur exceptionnel, un authentique manipulateur d'images oscillantes. Il n'est guère possible de mesurer le temps des rêves, de parler de leurs couleurs ou de leurs formes comme l'ont fait les peintres des petites tombes des particuliers de la rive ouest où ils insistent sur le magnétisme de scènes envisagées comme une réalité magique et immédiate. Un voyage dans un royaume qui n'a jamais existé nulle part et qui pourtant paraît familier à certains êtres venus s'asseoir ici quelques millénaires plus tard.



Il entendait dans ses rêves le nom de dieux évanouis, des mémoires et des compilations de signes, des noms imprononçables à la saveur minérale qui traînent dans les ruines quand toutes les images ont disparu des murs.


Au matin, il passait des heures à décortiquer ses rêves, leurs lignes onduleuses, les décors qui s'effacent au réveil et ceux qui s'incrustent dans des visions réitérées tout en offrant des variations en cascades. Il rêvait pour maintenir le contact, pour laisser aux serpents le temps de traverser les espaces lumineux des cours à portiques des temples.


Les arbres, les pierres, les animaux rêvent aussi mais nous ne saurons jamais ce qu'ils croisent dans leur intensité onirique. Dans les songes, les espaces ne sont pas les mêmes, les choses se déplacent selon des rythmes différents, les sons et les paroles se propagent selon d'autres modes vibratoires. Des murmures étouffés, des secrets en embuscade, des serments de fidélité, des pactes avec les Mages d'un autre monde, des mots de passe agissant à la façon du couteau des Shemsou Hor.


Plus que tout, il appréciait le Vide que les rêves mettent en scène. Le Vide entre l'imaginaire et la ressouvenance, entre le vraisemblable et le total hallucinant en laissant hors-champ toute son amplitude.


Sa Majesté entendit parler de ce rêveur de qualité et lui demanda de venir au palais passer une nuit dans sa chambre afin de contaminer ses propres rêves. Le chambellan posa un miroir entre les deux dormeurs. Leurs rêves s'y engouffrèrent, ils eurent toutes les peines du monde à refaire surface.

Désormais, le souverain prit en compte le Vide, une coïncidence, une force, une respiration visible sur les lèvres des colosses royaux placés devant le pylône des temples.


Un rêve ne se termine jamais. Il tourne en boucle et resurgit quand nous en avons besoin ou lorsqu'il est temps de partir.

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