Dans l'Egypte d'aujourd'hui, certains lieux bien dissimulés sont propices à la rêverie. Cela vient de loin, ils l'étaient déjà à l'époque des Nagadiens régentés par des Femmes- Oiseaux. On peut ici s'approcher au plus près des gouffres sans y tomber. Sur les photographies en noir et blanc de la fin du XIXe siècle, on voit une Egypte paisible baignée par les eaux de la crue. Une Egypte qui n'existe déjà presque plus alors que les derniers Khédives passent dans leurs calèches, l'air important, avec leurs nombreuses épouses.
Dans un jardin du Fayoum, j'ai oublié que je n'étais plus vivant Au bord du lac Kharoun, j'ai attendu que la rive ouest s'estompe dans les brumes de chaleur. Un nautonier me proposa une traversée sans retour. J'avais perdu quelque chose mais n'avais nulle envie de la retrouver ou même de la chercher. Les prêtres de Sobek avaient inventé le concept du renoncement libérateur. Je suis + si je ne possède rien. J'ai juste gardé les titres de propriété de la pyramide d'Hawara et quelques champs autour du temple de Medinet Madi où l'on vénère toujours Renenoutet, une déesse serpente maîtresse du blé et de l'épeautre. A la lisière des champs, je dépose pour elle des coupelles d'albâtre pleines de lait aromatisé au miel d'abeilles sauvages.
Une vie joyeuse au milieu des fleurs, surtout des roses, cultivées pour en extraire des parfums qui se vendaient dans tout l'Orient. Dans le Fayoum, le bonheur s'enroule sur lui-même et génère l'état de plénitude Hotep. Sérénité dans l'Oasis autrefois gardée par des déesses hippopotames qui piétinaient les potagers des paysans et perturbaient le tranquille ordonnancement des rituels.
A force d'inventer le passé et d'imaginer le présent, j'ai perdu la mémoire, la notion du temps et de l'espace. Je ne sais plus si j'habite Crocodilopolis ou Medinet el Fayoum. Je ne sais plus qui est le roi Sobekhotep. Je n'ai rien vu venir. Un matin, plus rien n'était pareil. L'Oasis avait basculé dans un temps suspendu.
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