Assis sur une dune, Seth se demande s'il a bien fait de buter son frère. Maintenant, tout le monde va me haïr, pense-t-il. L'assassiner était une chose, le découper en rondelles en était une autre. On va prétendre que je suis cruel, psychopathe, pervers polymorphe.
J'ai fait ça parce que ce garçon trop poli, trop parfait, me portait sur les nerfs. Tous les Kémitiens l'aimaient et sa belle épouse, cette petite chienne d'Aset, le badait. Je devais l'éliminer avant qu'il n'ait un fils qui, pour la seconde fois, me priverait de l'héritage du royaume vert.
Je ne suis pas plus méchant que la moyenne mais je ne supporte pas qu'on affirme que je suis bête. Il arrive que je cogne parfois avant de réfléchir, pourtant j'ai préparé avec soin le meurtre de mon frère. Du travail bien fait qui aurait pu réussir si ce sournois de Djéhouty m'avait donné un coup de pouce supplémentaire.
Au fond, je ne suis pas mécontent de ne pas être devenu le nouveau maître de Kemet. Je suis un nomade, je n'aurais pas supporté de rester toute la journée le cul sur un trône à écouter des sornettes et à régler des conflits. D'ailleurs, moi j'aime les conflits, j'aime attiser les antagonismes et monter les imbéciles les uns contre les autres. Plus ils s'entretuent et moins nous avons de problèmes.
Je suis un nomade mais je ne possède pas de troupeaux, je ne possède rien, je suis libre comme les vents de sable. En fait, j'aurais aimé être le monarque virtuel d'un royaume sans frontières, sans lois, sans rien à défendre. Un royaume à la dynamique inversée où tout le monde dormirait en plein air sous les étoiles.
Toute cette histoire m'a fatigué car je suis d'un naturel paresseux et il n'y a rien de plus épuisant que l'exercice de la violence.
Pour rien au monde je ne voudrais devenir sédentaire, être obligé de cultiver des champs et me conduire en bon père de famille. L'altruisme, la soumission à un modèle de pensée commun me font vomir. Je rêve d'une vie paisible à condition qu'elle ne dure pas trop longtemps, juste le temps d'engraisser un ou deux porcelets et d'engrosser quelques génisses soustraites au bétail d'Hathor.
Il ne faudrait pas croire que je n'ai que des contradicteurs... J'ai aussi des sectateurs auxquels je donne l'énergie de se dépasser un peu plus chaque jour, de vivre la tête en bas et le membre toujours bien dressé. Ils traînent dans les arcanes du pouvoir, éliminent les hésitants, massacrent les ennemis de Kemet et pratiquent en mon honneur les rites cruels d'autrefois.
Je me manifeste sous la forme d'un animal fabuleux, racé et élégant. Les ermites, les prospecteurs et les femmes qui cueillent dans le désert des plantes médicinales tombent amoureux de moi quand ils croisent ma route et cherchent à obtenir mes faveurs. Ils n'osent pas me toucher de peur d'être brûlés par un désir que rien ne peut satisfaire.
On a édifié pour moi des temples discrets à l'orée des oasis, là où surgissent des eaux couleur de sang. On y apprend à vivre selon les règles d'un dieu menaçant, aux contours flous, qui ne fait rien comme les autres et vous maintient en état d'alerte permanent.
Je suis SETH, je fais peur mais je voudrais bien qu'on m'aime.
Comments