Sacralité des zones incontrôlables

Le moins que l'on puisse dire est qu'il ne s'exprimait pas de façon très claire. Un St Jean Bouche d'or mussif. Les fantômes aussi ne sont pas très bavards et ne répondent jamais à nos questions. Silence dans le naos et silence dans les immenses salles du temple où parler est un sacrilège immonde, impie, irrespectueux.

Nous avons plutôt besoin de messagers pas très diserts qui parlent avec les mains, en faisant des gestes soigneusement tracés dans l'air, un contre- discours en usage dans les sanctuaires où les lèvres des statues restent closes. Singulière entropie des marécages jamais atteints par les eaux de la crue. Je reste assis par terre dans l'attente d'un signe. J'entends des pas glisser sur le sol mais aucun autre bruit.

Certains mots de la langue égyptienne n'ont jamais été prononcés. Ils existent seulement pour maintenir la structure de la phrase. Ils rendent dérisoires les vocables du mythe mais efficaces ceux des rites. Mots nomades qu'il vaut mieux éviter de sédentariser. Seule une infime partie de l'univers peut être décrite à condition de rester tranquille devant la porte, sans murmurer, sans prier, sans faire appel à des divinités prolixes ou larmoyantes qui se moquent de nous en laissant croire qu'elles existent.

Devenu félin, je reste vigilant, soucieux de ne pas laisser ma mémoire s'éteindre. Avant de sortir pour la dernière fois, j'ai caressé la douceur du vide. Je me suis dit que je reviendrai quand j'aurai tout oublié. Le temple est devenu un bloc de silence, je suis son serviteur muet, le prêtre d'une sacralité des zones incontrôlables.