Les dieux peuvent prendre toutes les formes : une pierre tombée d'une falaise, l'écorce d'un sycomore ou une ombre fugitive traversant le jardin. Un chat sur deux est une divinité, les cobras sont des quintessences de divin, ne parlons pas des scarabées dont la capacité à se perfectionner est prodigieuse. Le propre d'un dieu est d'être inutile. Il ne se laisse pas piéger par les contorsions de la matière. C'est un beau fugitif fomentant en sourdine des révoltes, semant autour de lui des étonnements.
J'ai rencontré mon premier netjer dans l'ascenseur branlant d'un palace décati du Caire où tout, lentement, tombait en dérision. Il ne ressemblait à rien de connu, de moi en tout cas. Il ne portait pas sur les épaules une tête de loup ou de crocodile, seule son odeur pouvait encore le trahir. Tout près de lui, dans cet espace confiné, je n'osais pas bouger de peur de passer à travers lui, ce qui l'aurait incommodé, tué peut-être. Les Grecs, qui ont réponse à tout, prétendent que la principale différence entre les dieux et les hommes est l'accès à l'immortalité. Une théorie contestable car l'immortalité est encore une question de temps. Or, depuis longtemps, les dieux ont échappé à toutes les formes du temps. Ils voyagent plus vite que la lumière, ne laissent pas de trainées blanches dans le ciel vide.
J'aurais préféré que mon netjer arbore une tête de musaraigne qui m'aurait permis de l'identifier, de lui donner un nom, d'en faire une créature plus familière, plus rassurante. De toute évidence, il n'avait pas envie d'être reconnu, toute son attention était concentrée sur le grincement des câbles et des poulies de l'ascenseur. Il était peut-être cette machinerie branlante qui ne me disait rien qui vaille, qui sentait le lys plutôt que l'huile de graissage.
Malgré tous mes efforts, je n'arrivais pas à atteindre une compréhension plus affinée de sa réalité qui se serait accordée avec les aspects les plus improbables de mon destin.
Il me semblait maintenant que cet ascenseur descendait à l'intérieur de moi en compagnie de ce que je n'avais jamais osé imaginer et qui était la preuve qu'aucune règle précise ne régit l'univers. Il ne prend en compte que des lois inconnues capables de faire dévier une planète de sa trajectoire.
Lui et moi n'étions pas des phénomènes concomitants, ce qui n'excluait pas une certaine complicité restant à évaluer. Nous devions repérer les circonstances propices qui outre- passeraient les simples frôlements. Tout pouvait aussi déboucher sur un effondrement ou même sur une implosion. Il faudrait aussi donner plus d'importance au Vide et entrer dans la fragilité des mythes et des croyances.
Il était plus inspiré que moi, j'étais plus vulnérable mais je n'hésitais pas à prendre des risques, ce qui devait plaire à sa nature insoumise.
Mais une fois sortis de l'ascenseur, comment allions-nous maintenir le contact ?
Je suis toujours mal à l'aise dans les bateaux et les ascenseurs.
Quelques décades plus tard, je me suis demandé si cette rencontre n'avait pas été posthume.
Voici une des rares images que j'ai trouvé de lui dans mes très anciennes archives.
Comments