La Douat est un endroit bien protégé par de redoutables Gardiens armés de couteaux et à la langue bien pendue. Ils opèrent aussi dans les lieux sacrés où ils restent le plus souvent invisibles. Certains de mes proches ont bien senti leur présence à Edfou ou Tôd.
Dans la Douat, ce sont les maîtres des portes qui se dressent à l'entrée de chacune des heures de la nuit que doivent franchir les défunts et les Mystes des rites initiatiques.
On les rencontre dans toutes les mythologies qui accordent une importance aux choses de l'Ailleurs.
Ce sont des entités protéiformes et myrionymes dont on voit les images dans les corpus funéraires comme les Textes des sarcophages ou le Livre des Morts ainsi que sur les parois des tombes, des temples, des sarcophages. Leur corps accroupi est souvent entouré de bandelettes de lin à la façon des momies. Ils peuvent avoir une tête de loup, de vautour, souris, serpent, taureau, bélier, crocodile, hippopotame, lièvre aux grandes oreilles, lion, chat, âne, singe, plus rarement une tête humaine.
Dans les livres funéraires, ils brandissent un long couteau, une palme dans les rituels mystagogiques.
Le couteau laisse entendre qu'ils peuvent repousser les forces maléfiques à la manière des Shemsou Hor.
Souvent ils sont assis devant la porte dont ils ont la charge et leur nom est inscrit au-dessus d'eux.
Le voyageur de l'Au-Delà doit savoir les identifier et connaître leur nom s'il veut échapper à leur vindicte.
J'avais déjà franchi les onze premières portes quand je parvins à la douzième, défendue par un Gardien à tête de crocodile. Il me soumit à un tuilage sévère qui, je le pressentais, allait décider de la suite de l'aventure.
- Tu es seul ici ?
- Je ne suis pas seul puisque tu es là.
- Tu me considères comme un compagnon ou comme un ennemi ?
- Cette alternative trop dualiste ne me concerne pas.
- Je voudrais donner à cet entretien une teinture plus égyptienne. Comprends -tu cela ?
- Oui, tu veux savoir si je suis bien un enfant de Kemet ou plus exactement si je pense en Egyptien.
- Depuis quand les Kémitiens pensent-ils ?
- Depuis qu'ils ont imaginé des créatures telles que toi dont le seul objectif est d'être déplaisantes en posant des questions hétéroclites et de plus en plus obscures.
- Inpou soit remercié, tu ne sens pas le cadavre, tu es un homme parfumé, ce qui plaide déjà en ta faveur. Cependant, quelque chose en toi me tape sur le système. Tu ne ricanes pas assez de tes déboires. Sais-tu seulement comment tu es mort ?
- Tout cela est déjà si lointain. Je ne sais plus si j'ai été coupé en deux par un crocodile, assassiné au coin d'une palmeraie ou écrasé par un bloc de granit sur un chantier. Je ne rejette pas l'idée d'une mort paisible entre les bras d'une épouse aimante.
- Si lointain, dis-tu ? Ici il n'est jamais question de temps. Je serais plus indulgent si tu avais eu une mort utile.
- Une mort utile ?
- Oui, pour ta patrie, tes enfants, tes idées, pour défendre un temple attaqué par des profanateurs.
- J'aurais aussi pu périr au service du roi.
- Où es-tu né ?
- Sous un fourré de papyrus.
- Par où es-tu passé ?
- Par une ville qui est au nord du buisson.
- Quel est le netjer qu'on appelle l'Interprète des Deux Terres ?
- C'est Djéhouty-Thot.
- Quel est le nom de cette porte ?
- Peson de justice est son nom.
- Qui est derrière cette porte ?
-Maât, dans la salle des deux Maât où sera pesé mon coeur JB.
- Et quel est ton nom secret ?
- On me nomme l'Hôte du moringa.
- Et quel est mon nom ?
- Approche, je vais le murmurer à ton oreille car personne ne doit l'entendre.
- Qui garde le Gardien de cette porte ?
- Je ne sais pas qui la garde mais je te regarde.
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