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QUELQUES JOURS AU CAIRE

Je ne savais pas encore que ce pays s'appelait Kemet.

A la façon des Grecs, je le nommais Egypte.

Les envahisseurs Sémites l'ont baptisé Misr.


Aujourd'hui, je donne toujours raison aux plus anciens.

Je crapahutais dans les rues du Caire en essayant de ne pas me laisser emboutir par des automobilistes arrogants qui tiennent le piéton pour de la chair à canon.

Le Caire est à la fois vide et pleine. Elle vit ses derniers mois de capitale. Bientôt, le pouvoir et ses sbires s'installeront dans des tours climatisées au milieu du désert.

La cité millénaire a du mal à se dégager du spectre de l'enlisement et de la pauvreté. Ici, on joue au golf à côté des décharges. Les ânes se sont faits rares. Ont-ils regagné les verts jardins d'Allah ou les immondes officines des équarisseurs ? On sait depuis Apulée qu'il n'est pas toujours facile d'être un âne.



Nous sommes plus près du Radeau de la Méduse que de Jours tranquilles à Clichy.

Quelques jours au Caire et je fume comme un sapeur, j'ai envie de m'enfuir dans la Thébaïde. Le bruit m'a saturé jusqu'à la moelle. Dans les jardins du vieux Musée, Mariette Pacha connaît une éternité bruyante et tumultueuse. Les taxis tombent en ruine, par les trous dans le plancher on voit défiler le bitume.

Pourtant, certains jours, je trouve que cette cité folle a un charme fou. On s'attend à voir passer un Mamelouk ou le gros roi Farouk au volant d'un luxueux cabriolet décapotable. On prétend qu'il a écrasé nombre de Cairotes mais où irions-nous si un monarque n'avait plus le pouvoir de buter ses sujets en toute impunité ? Méfions-nous des ogres à l'apparence débonnaire.


Une vieille dame de l'ancienne bonne société m'invita à prendre le thé dans sa villa de Zamalek. Elle parlait un français impeccable, magnifié par l'accent oriental de l'aristocratie d'autrefois. On parle lentement en roulant les RRR, les domestiques sont stylés. Le jardinier n'arrose pas le jardin, il l'inonde comme aux plus beaux jours de la crue. Mon hôtesse me déclare : Les Esprits sont partout dans ce palais conçu par un architecte français en 1891. Je suis bien ave eux, le soir ils me chantent des berceuses, l'odeur du limon monte du fleuve qui coule au bout de mon jardin. Je dois prendre soin de ces fantômes car s'ils disparaissent il ne me restera que quelques jours à vivre.

J'aurais aimé la prendre dans mes bras, lui susurrer des mots tendres, l'assurer que moi aussi j'appréciais les spectres hantant les vieilles demeures.

Elle m'invita le lendemain au restaurant de l'Automobile Club puis elle disparut. Depuis, elle se balade dans mes souvenirs et me donne la force de vivre avec une certaine classe, cramponné à mes amulettes.


Je n'entends plus le bruit des moteurs. La ville continue à tourner sur elle-même en regrettant d'avoir abandonné les beaux dieux de Memphis.

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