Ce qu'il redoutait avant tout c'était d'avoir à toucher une momie d'anguille ou d'ichneumon. Il n'arrivait pas à s'adapter au rythme de ce pays toujours en passe d'être dévoré par le désert, les idéologies, les croyances imposées par des envahisseurs.
Il a longtemps caché aux autres qu'il était égyptologue. Pour expliquer la profusion dans sa maison d'amulettes, de shaouabtis et autres artefacts de facture pharaonique, il prétendait qu'il était marchand d'art, spécialiste de la XXVIe dynastie dont on ne chantera jamais assez les louanges : mode retro, retour aux sources, des petits bronzes d'une perfection admirable. On déterra des sphinx, les femmes remirent au goût du jour les robes à bretelles de l'Ancien Empire, un artiste accompli sculpta une statuette du roi Khéops-Khoufou mort depuis des millénaires qui, aujourd'hui encore, met en échec les experts.
Permis de fouilles en poche, pour la première fois il prit l'avion pour la République d'Egypte.
Dès les premiers instants, le Double Royaume le tétanisa. Quand on quitte les salles climatisées de l'aéroport pour déboucher sur la place on est saturé par les gaz d'échappement des véhicules tournant autour d'un obélisque maigrichon qui serait mieux au milieu des ruines d'un temple. Il sentit que quelque chose allait le happer et ne desserrerait plus ses mâchoires.
La nuit, Le Caire ressemble à une machine prête à exploser. Sur les avenues, pour un temps encore presque désertes, le taxi déglingué fonçait vers le centre ville où se trouvait son hôtel. Allez savoir pourquoi, il songea aux musiques à choisir pour son rituel funéraire. Quelque chose de doux mais pas trop pour ne pas endormir les rares participants. Une bonne Gnosienne d'Eric Satie pouvait convenir à un départ vers la Douat. Surtout pas de requiem ou de mélodies larmoyantes.
Dans une lumière blafarde à la Parker Bilal, le taxi l'emportait vers son destin.
L'hôtel était un vieux palace de style néo-oriental construit dans les dernières années du XIXe siècle, ambiance Lord Carnavon ou Cigares de pharaon, plus ravagé par les pilleurs d'antiquités qu'un site archéologique. Ce n'était pas non plus le Caesars Palace de Las Vegas. Le côté agonisant de l'édifice ne déplut pas à un égyptologue qui aime les ruines et le parfum des fastes d'antan qu'il s'ingénie à réanimer .
La réception était déserte et déprimante Il fallut un certain temps au réceptionniste, qui devait avoir l'âge de la momie de Psammétique, pour dénicher sa réservation. Il lui remit une grosse clef à l'ancienne, lui expliqua que sa chambre, la 503, était au quatrième étage et que l'ascenseur se trouvait à droite. Dans un bruit inquiétant de câbles et de poulies rouillés ,il monta donc jusqu'à l'étage indiqué. Chambre 503 au quatrième étage, la logique implacable des Egyptiens !
Il était 4h10 quand il entra dans une vaste chambre au mobilier hétéroclite. Il remarqua au-dessus du lit une photo de Pierre Loti en habit de sultan de carnaval. L'écrivain amoureux de Philae avait-il occupé cette chambre ou était-il là par hasard ? Sous son regard un peu perdu de fumeur d'opium, il ouvrit sa valise pour déballer ses petites affaires soigneusement rangées afin de les placer dans une énorme armoire en bois noir dégageant une forte odeur de naphtaline, de moisi et de chauve-souris. Il s'aperçut alors qu'il avait oublié de prendre des slips de rechange et se rassura en pensant qu'il devait bien y avoir des boutiques de sous-vêtements dans la toute proche rue Talaat Harb. Puis il constata qu'il avait aussi oublié son coupe-chou, la mousse à raser, son vieux dictionnaire de hiéroglyphes et une crème anti- moustiques.
Il se jeta sur le lit, dormit comme une brute illettrée avant d'être réveillé par le brouhaha de la circulation et un concert de klaxons. Il remonta les persiennes et aperçut un bout de Nil entre deux immeubles. Il était fin prêt pour un solide breakfast et le début d'une aventure qui allait occuper le reste de son existence.
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