Tout ce que nous tentons de faire peut nous mettre en danger mais un monde sans danger serait-il supportable ? Akhnaton avait opté pour le danger, il affirmait sa différence en poussant un peu plus loin les limites du supportable.
Il progressait les yeux baissés sur un chemin qui n'avait plus rien de familier. La lumière descendait du ciel mais montait aussi des profondeurs où l'insolite fait son nid. Il aimait marcher dans les carrières, sur l'arête des dunes, dans les lieux où l'équilibre peut se rompre à tout instant.
Le prince ne voulait ni d'une mystique prétentieuse ni de la foi frelatée des fidèles pieux et inconséquents. Il disait : Nous continuons à vivre si nous arrêtons prières et dévotions. Les préoccupations métaphysiques peuvent vous rendre emphatique ou malade d'angoisse.
Quand je marche dans la dévastation de la cité solaire, je me dis qu'Akhnaton aurait pu aimer cette absence de formes, cet oubli provisoire, ce royaume improbable qui n'existait que dans ses rêves de légèreté.
Entre lui et moi, les bornes se sont souvent déplacées mais nous ne sommes jamais restés de part et d'autre de la frontière. Il est le seul penseur dont je partage toutes les hypothèses, avec une prédilection pour les plus audacieuses, celles qui obligent à briser les carcans de la mémoire, de la culture, des certitudes, des affections illusoires.
La légèreté est au-delà du représentable. Elle n'existe que dans l'instant. J'ai aimé éponger la sueur sur les tempes du roi, lui caresser la nuque en l'assurant de mon soutien quand surgirait l'imprévisible après qu'il aura violé tous les tabous inutiles.
L'histoire reste vive tant qu'elle demeure indéchiffrable, de la nature des jeux de hasard, des horoscopes comportant une énorme part de risque. Le roi persistera à être un personnage étrange dans un système en apesanteur.
Quelques années en deçà, Akhnaton avait rencontré un fellah qui était aussi le mage de son village. La nuit, il attrapait la lune dans ses filets, ce qui était, disait-il, le meilleur moyen de ne pas connaître de temps morts. Il avait appris au prince à reconnaître ceux qui, après sa disparition, le poursuivraient de leur haine, insulteraient sa mémoire, réduiraient en miettes le sarcophage où ne reposait pas son corps.
La vraie lumière du soleil est celle qui se concentre à la surface des miroirs d'électrum. C'est une lumière qui n'a pas subi d'épreuves, qu'aucune extinction ne menace encore, qui affirme que la médiocrité est le plus terrible des dangers. La radiance de l'Aton n'est pas née dans le cœur du roi mais aux confins de deux univers quand ils commencent à se séparer. L'un migre vers l'empire du Vide, l'autre s'insinue dans l'inconscient des démiurges en attente au-dessus de l'abîme. Qui leur a inspiré le privilège du pouvoir créateur ?
Sans eux, estimait Akhnaton, la perfection - Nefer Neferou - aurait supplanté la création.
Je traduirais volontiers Nefer Neferou par Majesté spirituelle sertie dans un instant d'éternité.
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