Le voyage ne se termine pas dans les nécropoles, il commence en ces lieux blasonnés par la mort qui est une autre forme de la vie.
Enfouis dans le sable, les défunts Kémitiens n'ont aucune raison de s'inquiéter. Le silence du désert ne trouble pas leurs rêves d'éternité. Rien ne bouge en surface, tout se passe dans les profondeurs, circule dans les fondations des cénotaphes, des couloirs qui, par degrés, descendent dans la Douat.
J'aime entrer par effraction dans les nécropoles en apparence seulement abandonnées.
Nécropole de Sakkara : à la faveur d'un vent de sable, à midi plein, je me trouve plongé dans une nuit poudreuse qui donne à la pyramide de Djoser une apparence de spectre. Dans sa tombe, l'architecte Imhotep observe le sable qui s'infiltre entre les blocs de calcaire. Dans son serdab, les yeux du roi suivent la course des étoiles doubles en train de se jeter dans la gueule d'un trou noir.
Nécropole de Tuna el Gabal : on n'entre pas au débotté où les prêtres et les serviteurs de Thot tiennent à distance le chaos avec leur calame. Je n'ose plus bouger. Impossible de s'orienter dans ce continent englouti qui n'en finit pas de s'effondrer sur lui-même. Le perchoir du Benou repose sous une dune. Nous sommes en face d'Akhet-Aton. Djéhouty murmure : Je ne veux te conduire nulle part ailleurs que dans ta mémoire défaillante aujourd'hui, demain rebelle, toujours en décalage par rapport à la suite logique de l'histoire. Autrefois étaient plantés ici des palmier doum. Je ne te laisserai pas mourir idiot ou étouffé par une avalanche de signes mais, si tu reviens trop souvent, je serai plus affectueux, plus enclin à te faire perdre le Nord.
Nécropole de Meir : dans les étendues désertiques de la Moyenne Egypte. La première fois que je suis venu j'ai été accueilli par un vieux gardien armé d'une pétoire datant des Mameluks. En dépit d'un salaire dérisoire, il prenait son rôle très au sérieux, semblait ne pas savoir que les momies n'étaient plus dans leur sarcophage au sein de chambres funéraires ornées d'images rares et d'une sublime élégance. Des travées de bois permettent d'affronter la pente raide des dunes où son éparpillées les tombes. Dans le ciel bleu s'incrustaient de maigres petits nuages. Reste-t-il quelque chose à changer dans ce monde parfait ?
Nécropole de Seth : nous sommes dans les immensités du désert occidental. Entre deux oasis est implantée une nécropole fantôme destinée aux sectateurs du dieu aux oreilles coupées, Seth, le maître du trouble, des projets insensés, des pulsions incontrôlables, des rages soudaines capables de mettre à bas un empire. Toutes les amulettes funéraires des sectateurs sont en plomb. Ils étaient inhumés les nuits de lune noire. Les pleureuses se répandaient en vociférations. Les nains refusaient de danser.
Le dieu dit : Je suis un mal nécessaire, annonciateur d'évènements imprévisibles permettant de rebattre les cartes et d'envisager que les choses tournent dans l'autre sens.
Son rictus se transforma en sourire.
De nombreux endroits qui me plaisent restent vacants pour implanter de nouvelles nécropoles destinées à mes fidèles.
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