Cette vignette orne le très court chapitre 36 du Livre des Morts dont voici la traduction par Paul Barguet :
Formule pour repousser Apshai.
Paroles dites par Nakht : Tiens-toi loin de moi, celui dont les lèvres broient. Je suis Chnoum, le maître de Pechenou; celui qui rapporte les paroles des dieux à Rê; je remets le message à son maître.
Nakht - prononcer Nart - est un scribe royal, propriétaire d'un des plus beaux exemplaires connus de Livre des Morts dont le titre exact est Chapitres de la Sortie à la lumière.
L'image est plutôt surréaliste. Nous voyons notre scribe en grande tenue de cour en train de menacer avec un couteau une créature noire nommée Apshai.
Le texte est bien étrange, comme c'est souvent le cas dans ce type d'écrit funéraire.
Un netjer nommé Chnoum, maître de Pechenou, une ville inconnue, doit remettre un message à quelqu'un .
Le Livre des Morts du Nouvel Empire est le résultat d'au moins deux millénaires d'investigations de l'Au-Delà par les Egyptiens. Les références sont souvent très anciennes et restent pour nous parfaitement énigmatiques.
Reste cette créature noire que certains commentateurs ont tenu pour un scarabée.
Horreur, jamais un Egyptien de bonne souche n'aurait menacé l'insecte le plus sacré du panthéon pharaonique.
Paul Barguet pense qu'Apshai est un de ces insectes nécrophages qui dévore les cadavres, Celui dont les lèvres broient.
C'est bien là que réside le sens de cette image : Nakht va détruire une vermine qui risque de dévorer sa momie, ce qui le ferait disparaître à jamais.
Pour un Kémitien, un cadavre en putréfaction, grouillant de vermine est une abomination qu'il faut éviter par tous les moyens, les plus efficaces restant la Magie des formules et la momification.
Mais quand on parle de corps en Egypte, les choses ne sont pas aussi simples.
On distingue deux corps : le corps KHAT et le corps DJET.
Khat est le cadavre en tant que matière corruptible, une dépouille inerte.
Djet est le corps vivant, remplissant les fonctions corporelles.
Après le trépas, les choses se compliquent. Le corps Djet - un mot qui signifie aussi éternité - a tendance à se fondre avec le AKH pour devenir une sorte de corps glorieux.
Mais cette opération n'est possible que si le corps Khat échappe à la putréfaction et donc à l'anéantissement.
On comprend mieux alors le danger que représente une bestiole nécrophage.
C'est dans ce contexte que s'ancrent les pratiques et les rites de l'embaumement.
La momie fascine et fait peur à la fois.
Fascination pour un corps qui semble avoir échappé à la mort. Peur devant un être qui tient du zombie, du mort vivant et du fantôme.
C'est dans les officines des embaumeurs - les Ouabet - présidées par le Loup Inpou que sont nées les plus anciennes pratiques de l'Art chymique.
La partie de la Ouabet où se pratiquait la phase finale de la momification est la Per Nefer ou Maison de la régénération.
La momification a un triple but :
* Faire échapper la chair au processus de la Nigredo.
Le processus commence 4 jours après le décès.
* Transformer le corps en substrat parfumé capable de traverser le temps.
* Contrôler les énergies vitales en cours de dégagement et de réorganisation.
Le mot Momie vient du terme hermétique MUMIA désignant en Alchimie un coagulum de matière subtile et très pure capable de maintenir actif l'esprit vital.
Le mot a été popularisé par Paracelse qui fit de nombreuses recherches sur la question et qui, peut-être, séjourna en Egypte.
Dans son Paramirun, il écrit : Mumia est le baume qui guérit les blessures et fait échapper à une mort ordinaire.
La pratique de la momification appartient à la mouvance osirienne, un héritage des Ancêtres rouges venus de l'Ouest.
Momifier consiste à réactualiser le mythe osirien.
Elle se pratique toujours dans un contexte rituel complexe qui n'œuvre pas seulement sur le corps mais sur l'ensemble des 9 Constituants de l'être.
Inpou est Celui qui soigne le corps.
Thot psalmodie les formules rituelles magiques.
Chou veille à ce que les différentes phases se déroulent dans le bon ordre.
Hor et les Shemsou évitent les ruptures.
Aset et Nebhet tissent les bandelettes de lin.
Avec la momification, on touche à l'un des fondements de la pensée égyptienne.
Il ne s'agit pas d'obtenir une seconde vie dans l'au-delà mais de maintenir un état, une qualité de l'être pour l'éternité.
Toutefois, les Egyptiens n'envisagent pas la survie d'une individualité mais celle d'un être cosmique participant à la dynamique de l'univers.
S'il vient à disparaître, l'univers entier est menacé de disparition.
La momification est la science des cosmétiques, un mot qui vient du grec cosmos signifiant ordre, univers organisé.
La momie est Orion dans le ventre de Nout.
Rituel de l'embaumement.
La momie, équipée de tout un arsenal de talismans, d'amulettes, couverte d'or, est une puissance liée aux origines et au devenir de la vie.
Elle est un être en voie de divinisation.
Seul le défunt momifié est en mesure de connaître la forme réelle d'un dieu.
Textes des sarcophages.
Le hiéroglyphe du netjer n'est-il pas un corps divin momifié brandissant un Ankh !
Ousir, Ptah, Sokar, Min, les quatre Fils d'Hor... sont des entités divines momifiées et intimement liées aux forces chthoniennes.
Fais durer mon nom comme celui d'Ousir qui préside à l'Occident, compte-moi parmi les dieux primordiaux. Donne-moi ma bouche pour parler, mes jambes pour marcher, mes bras pour abattre mes ennemis. Que soient ouvertes pour moi les portes du ciel comme pour les dieux et les déesses. Puissé-je agir dans l'éternité comme un compagnon d'Ousir.
Le Livre des Respirations.
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