Dans ce jardin devaient rôder des sphinx posant sur les visiteurs l'acuité de leur regard. On ne sait pas ce qui se cache à l'intérieur des arbres que nos Ancêtres considéraient comme des dieux gorgés de sève et de résine. Seth est le vent du sud secouant les ramures des grands arbres plantés sous un autre règne. Il faut se méfier de ceux qui, les mains croisées derrière la nuque, adossés au tronc d'un sycomore, imaginent le corps d'Osiris cloué par son frère contre cet arbre vénérable et en apparence inoffensif.
Le gardien nous servit un repas sous une treille posée près du bassin. Dans cette atmosphère paisible, tout ce que j'aimais me parut soudain en danger, vacillant, en sursis, prêt à s'estomper dès la fin du rituel. Je ne voyais pas les sphinx mais je sentais leur odeur de fauves à l'affût. J'aurais dû partir mais je restai et tentai de m'accorder au rythme si particulier de ce jardin où le moindre glissement paraissait sacrilège.
Le compte à rebours était commencé. Les dunes se rapprochaient des arbres et des mousses avec une application ne laissant aucun doute sur l'issue de l'histoire. Le sable a une nature inflexible, il est terriblement vivant. Tout avait un sens mais rien n'était vraiment prévisible dans ce milieu faussement ordonné et véritablement sauvage.
Le souverain des Deux Terres s'était écrié : Mon royaume pour un jardin ! Il ne savait pas que la royauté du jardinier est sans violence et d'origine surnaturelle. Elle n'impose rien, laisse l'eau couler dans les canaux tandis que les paysans posent des offrandes au pied des statues plantées au milieu des champs pour en assurer la fertilité. Ce roi fut un des rares souverains de Kemet qui abdiqua en déclarant : Je reviendrai quand le jardin aura retrouvé sa vigueur et que je saurai danser sur le sable brûlant.
Le pèlerin abydénien mourut de soif à quelques encablures de ce jardin dont il n'avait pas soupçonné l'existence.
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