Pour tracer les divins signes - medou netjer - que les Grecs baptisèrent hiéroglyphes - écriture gravée sacrée -, j'avais besoin de longues périodes de solitude. Il fallait surtout éviter les ruptures et accepter qu'aucun retour ne soit possible.
Certains textes nécessitent de laborieuses marches d'approche. D'autres vous laissent entendre dès le début qu'ils ne se laisseront pas apprivoiser.
On ne peut traduire le Livre des Cavernes qu'entre la 8e et la 11e heure de la nuit.
Je dus apprendre à survivre dans cet univers de signes chargés de la Magie d'Héka et des enchantements de Djéhouty.
Il existe un certain confort à être scribe mais aussi des questions qui restent sans réponse comme celle des origines de notre langue.
Quand je les contemple pendant des jours, je vois des hommes qui remontent vers le Nord en suivant les rives d'un Fleuve depuis si longtemps sacré. Il y a des guerriers, des prêtres, des astrologues, des éclaireurs, des mages, des nécromanciens, des devins, des archivistes, des architectes, des tailleurs de pierre, des fabricants de miroirs, des fondeurs d'or, des scribes dont le seul travail est de tracer et de perfectionner les divins signes. Ils ont donné force et beauté à une langue qui permet de dialoguer avec les dieux et l'invisible à l'œuvre dans l'univers. Les signes viennent de toutes les régions du ciel et des profondeurs de la terre, la Nature est leur seul modèle. Ils permettent de remonter le temps et l'espace, de suivre les pistes menant vers les étoiles et les planètes en orbite autour de gigantesques soleils.
Les medou netjer transmettent un mode de pensée jouant simultanément sur plusieurs plans de conscience en faisant éclater les limites des catégories admises.
Ecrire dans une chambre vide pour s'abstraire des lois de la pesanteur, réveiller les oiseaux endormis dans les forêts du continent perdu.
Les lettrés d'aujourd'hui ont tendance à considérer les hiéroglyphes comme la langue morte d'un monde désormais difficile à investir. Ni cette langue ni ce monde ne se sont évanouis, ils ondulent sous la surface, troublent notre tranquillité d'esprit en déplaçant sans cesse les indices.
Grâce à eux, j'ai compris qu'il fallait remplacer la quantité par l'intensité et favoriser les convergences, surtout si elles ne sont pas évidentes.
Ne parlons pas de révélation, un mot pompeux et douteux. Plus qu'ils ne révèlent, les signes encouragent les intrusions dans le domaine des Esprits masqués qui rendent tolérables nos incarnations dans une matière vile.
Ils n'établissent pas avec nous des liens définitifs. Tout est à reconsidérer chaque fois que notre main s'empare d'un calame et s'engage dans une expédition nouvelle et dangereuse non dénuée de paradoxes ostentatoires, de bruissements et de murmures.
Avec les medou netjer, on doit accepter de vivre en état d'alerte permanent dans des temples en ruines apparentes où, les nuits, les scribes du roi gravent à nouveau des chouettes et des serpents, des roseaux et des abeilles, les images fractales d'une réalité encore à naître bien qu'elles existent depuis des millions d'années.
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