La première fois que je vins à Louxor, je ne savais pas que son nom antique était Waset, la ville du sceptre Was. Le nom arabe, El Qousor, est le pluriel de Qasr qui signifie château, en souvenir d'une forteresse édifiée là par les Romains. Philippe Catherine n'avait pas encore chanté son inoubliable Louxor j'adoore. C'était avant Aïda et le déferlement de béton des hôtels internationaux. On respirait sur la rive ouest un parfum de Nouvel Empire. Sur le sentier au-dessus de Deir el Bahari, j'ai rencontré un jour des momies en vadrouille. Elles affichaient une insolente jeunesse et ne sortaient de leurs tombes qu'entre chien et loup. J'ai alors compris que les dieux n'avaient jamais quitté la rive des nécropoles. Ils étaient chez eux dans la poussière et le braiement des ânes.
Tôt le matin, j'aimais escalader la montagne de la Cime en me prenant pour le petit Her Bak d'Isha Schwaller de Lubicz. Comme lui, j'espérais et je redoutais de rencontrer la déesse Meretseger qui n'épargne que les silencieux. Paysage théologique d'une montagne où sont enfouis les secrets de l'immortalité. Mais à quinze ans, on se moque de l'immortalité, on veut au plus vite arriver au sommet, au moment où le Grand Aton Vivant se lève à l'orient au-dessus d'un désert fascinant qui m'attirait irrésistiblement.
Le premier hôtel où j'ai logé à Louxor s'appelait Le Ramsès. Il était situé dans l'avenue de la gare où régnait encore une ambiance de bazar oriental. Il n'avait rien d'un palace, les cafards y régnaient en maître, l'appel à la prière rythmait les nuits, parfois un filet d'eau coulait dans les douches, ce qui ne gênait guère une jeunesse débraillée pour laquelle l'hygiène et le confort n'étaient pas une priorité. Louxor, Katmandou, les rives du Gange et celles du Nil. Seules les momies portaient des masques. Pas de passeport sanitaire, pas encore d'attentats terroristes. Une inestimable liberté dans un monde ouvert.
Un fou avait élu domicile dans la gare de Louxor. Il déambulait complètement nu, sur les quais, dans le hall et parfois même sur les voies. Hirsute, il ne demandait rien à personne, marmonnait des mots dans sa barbe, poussait des cris rauques. Loin de le chasser ou d'en rire, on lui offrait nourriture et boissons en lui demandant sa bénédiction. Les fous et les malades sont dans la main de Dieu, disaient les anciens Egyptiens.
Un bac vétuste à l'air un peu penché permet pour quelques piastres de passer d'une rive à l'autre. Les passagers mâchonnent des graines de tournesol. Un homme serre contre lui sa bicyclette, une paysanne toute vêtue de noir tient une poule dans ses bras. Ce n'est pas pittoresque, c'est la vie de tous les jours. Quand la température chute autour des 20°, les Louxoriens transis portent des écharpes de laine et des passe-montagne.
Je ne savais pas encore déchiffrer les subtilités de Kemet mais j'étais heureux comme une cane quand je traversais le fleuve pour retrouver Mustafa-Mahmoud, noble sujet d'une noble famille de la rive ouest. Il vivait là depuis des millénaires. Il connaissait tous les recoins de son royaume. Il riait. Il savait que nous nous fréquentions depuis si longtemps. Si je ne l'avais pas rencontré, je ne serais pas revenu à Louxor, je serais resté à la surface des choses et des évènements. Je lui offris un jour un parfum. En digne émule du Fils de Hapou, il fit ce commentaire : Tu m'offres un parfum parce que tu trouves que je sens mauvais ? Non répondis-je, tu es en odeur de sainteté. Eclats de rire !
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