Troisième année du règne de Ramsès le neuvième.
Didoufri était un homme pas très tranquille n'ayant jamais songé à être pilleur de tombes. Il vivait de petits trafics de graines, de poissons séchés, de papyrus recyclés, du recel de menus objets précieux volés chez les vivants ou les morts. Rien de très méchant ni reluisant.
Son épouse était une femme merveilleuse, assez futée pour ne pas lui poser de questions sur ses activités. Coquette, elle aimait les bijoux et les parfums, ce qui allait causer la perte de notre protagoniste.
Ses familiers le surnommaient Didou. Il avait peur des chiens, des prêtres du crocodile Sobek, des puces, des filles délurées. Il n'aurait en aucun cas tenter un regressus ad uterum ni participé à un attentat terroriste contre le Vizir ou le Premier Prophète d'Amon à Karnak.
L'inspecteur en chef Khéty disait toujours à ses policiers Medjaï qu'il faut se méfier des hommes insignifiants car, sur un coup de tête, ils peuvent être capables du pire.
Nous n'avons pas encore précisé que Didou était un maigrelet au charme ravageur, à l'allure avenante. Bref, il ne faisait peur à personne.
Pour fêter la réussite d'une transaction des plus douteuse, il se rendit dans un bar à vin plutôt chic près du temple de Louxor. L'établissement proposait les vins les plus rares : vin des oasis de l'ouest, des îles de la Grande Verte - la Méditerranée - du Liban et même du lointain royaume asiatique de Mitanni. Là se mêlaient des héritiers de grandes fortunes, des fils de notables de la cour, des prêtres en goguette, des mages de bas étage, des déserteurs nubiens, des trafiquants d'or et d'ivoire et des filles pulpeuses proposant leurs charmes aux plus offrants. Didou n'avait pas les moyens de s'offrir ces produits de luxe, d'autre part il était un époux plutôt fidèle.
En sirotant un vin épais et noir comme de l'encre de seiche, il rêvassait, vautré sur une banquette molle. Pour justifier son absence, il avait prévu de raconter à son épouse qu'il était allé rendre visite à un ami malade, quasi agonisant.
Un homme, un grand échalas au teint olivâtre, l'aborda sans plus de cérémonie et lui offrit une coupe d'un vin délicieux. La sixième heure de la nuit venait de commencer - minuit -.
On n'a déjà plus à craindre un happy end, la mécanique du mal venait de s'enclencher. Quand l'homme vint s'asseoir près de lui, Didou craignit d'avoir affaire à un inverti séduit par son charme naturel. Mais l'homme était désespérément normal, un hétérosexuel faussement affectueux, bref un homme à femmes dans un bar à putes.
Une troisième coupe en main, Didou n'en menait pas large. Il sentait bien que se préparait quelque chose de pas très clair.
L'inconnu se rapprocha encore et lui murmura à l'oreille des propos qui lui glacèrent le sang. Il savait tout de lui, de ses petits trafics louches mais néanmoins passibles d'être sévèrement punis par la loi. Par exemple, le détournement du blé des greniers publics était considéré comme un crime. En Egypte, comme dans toutes les sociétés civilisées, on punissait les petits voleurs et on laissait gambader les grands... Didou se vit déjà empalé en plein soleil au milieu du désert, cerné par les charognards. Il imagina sa veuve, toute honte bue, se mettant en ménage avec un sémillant scribe du Trésor. Elle disposerait enfin des joyaux et des parfums qu'elle convoitait.
Didou vida d'un trait la sixième coupe de vin offerte par l'inconnu qui lui dit : entrons dans le vif du sujet. La princesse Taboubou, septième fille de notre monarque, vit dans un palais sur la rive ouest, près du temple de Medinet Habou. L'endroit est isolé, il est facile d'y pénétrer sans se faire remarquer. Il se garda bien de lui révéler qu'elle passait pour une magicienne experte en diableries et autres tours de passe-passe.
Parmi ses richesses, elle possédait un petit coffre en bois d'ébène contenant quatre vases à parfums venus, au terme d'un long périple, du mystérieux Pays de Pount où s'élaborent les essences parfumées les plus rares. Il faut savoir qu'en Egypte les parfums sont plus précieux que l'or, l'argent ou l'électrum. Un flacon de parfum vaut plus qu'une immense propriété avec jardins, bassins, arbres, vignes, animaux fabuleux - ne disait-on pas que la princesse possédait un sphinx - champs d'épeautre et de lin, débarcadère, vestibules à colonnes, armée de serviteurs et chats offerts par le temple de Bastet à Bubastis.
Didou apprit qu'il bénéficierait de la complicité du majordome de la princesse qui l'introduirait dans le cabinet où étaient conservés les vases à parfum.
Un conseil, surtout ne pas ouvrir les balsamaires et les enfermer le plus vite possible dans un triple sac de lin pur qu'on lui procurerait. Il serait attendu près de là pour livrer son butin. La récompense lui assurerait une vie opulente pour les décennies à venir. Beaucoup d'avantages pour peu de risques, lui susurra l'homme avec un rictus mauvais que Didoufri, désormais bien imbibé, ne remarqua pas. L'opération fut programmée pour la prochaine nuit sans lune qui, comme on le sait, est des plus néfaste.
Didou tira des plans sur la comète, accepta l'affaire en priant Bebon, un des mauvais génie sde l'infra-monde. L'heure exacte du rendez-vous fut fixée.
Tremblant comme une feuille de sycomore, Didou rejoignit le majordome félon dans le jardin du palais plongé dans un silence de mauvaise augure.
Ils pénétrèrent dans la riche demeure où tout le monde semblait dormir. Le perfide serviteur l'abandonna après avoir ouvert la porte de la chambre au trésor, faiblement éclairée par une lampe à huile.
Quand ses yeux furent habitués à cette pauvre lumière, il repéra le coffret en bois sombre incrusté de hiéroglyphes d'électrum. Il l'ouvrit et fut frappé par la beauté des quatre vases en obsidienne fermés par un couvercle en or rouge.
Trois des vases étaient déjà plongés dans son sac quand, saisissant le dernier, il lui glissa des mains et alla se briser sur le sol en basalte.
Tout se mit à tourner dans la pièce et dans la tête du méchant voleur. Didou se volatilisa et personne n'entendit plus jamais parler de lui.
Dans son lit à pattes de lion, la princesse Taboubou se débattait dans un cauchemar. Elle poussa un cri qui la réveilla et pensa à ses parfums capables de chasser les démons de la nuit. Horrifiée, elle vit à la place de la chambre au trésor un trou béant dont on ne pouvait mesurer la profondeur. Flottait dans l'air un parfum de résines, de souchet et de lotus blanc.
Avril 1949. Sur la rive occidentale de Louxor, un égyptologue fringant et blond comme les blés fouille ce qui semble être les ruines d'un palais. Il est tôt, il est seul, ce qui n'est pas très indiqué sur un chantier archéologique. Il se dit que ce sont des ruines de ruines mais qu'on peut toujours collecter quelques pépites. Soudain, il voit le sable se mettre à tourbillonner puis à s'effondrer pour laisser apparaitre une cavité dont on ne distingue pas le fond. Une odeur inconnue se répand dans l'atmosphère. Imprudent, il respire profondément et se volatilise aussitôt.
Personne n'entendra plus jamais parler de lui.
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