Une seule chose était certaine, je n'étais plus dans le monde tiède des vivants. Il faisait plutôt sombre, l'atmosphère était plombée, aucun bruit, un silence sidérant. Je n'avais pas lu assez attentivement la notice détaillant les modalités d'entrée, les taxes de séjour et les précautions à prendre pour ne pas être rejeté dans la nature comme un emballage non recyclable.
J'étais à des années lumière de ma petite vie tranquille, plus loin encore que je ne pouvais l'imaginer.
Je n'arrivais pas à savoir où était ma place dans ce milieu à la logique déviante. J'avais espéré que quelqu'un m'attendrait, me servirait de guide, la tête dissimulée sous un masque de loup, propre et parfumé comme une momie royale.. On se fait des idées quand on est vivant, on arrange le monde à sa façon, on plane.
Soudain apparut une porte plantée sur une dune, à peine discernable dans la poussière soulevée par un vent de sable.
Première porte
Un gardien, revêtu de l'uniforme chamarré d'un portier de palace de la XVIIIe dynastie, m'interdit l'accès.
Que veux- tu, voyageur solitaire ?
Savoir où je suis et ce qui m'attend derrière cette porte.
A ta place, je ne poserais pas ce genre de question. Entre, et tu en sauras un peu plus.
Deuxième porte
Le second gardien me lança :
Tu es une créature du passé sans avenir immédiat.
Peux-tu me livrer un indice ?
Non, je ne suis pas là pour répondre aux questions de quelqu'un dont j'ignore le nom
J'ai oublié mon nom.
Alors tu n'existes pas.
Il me poussa sans ménagement contre une autre porte.
Troisième porte
Deux serpents, un noir et un rouge, se dressèrent devant moi.
Je ne savais pas si j'étais dans une version papyrus ou dans une version numérique.
Le serpent rouge me demanda d'où je venais.
Du beau royaume de Kemet.
Je n'en ai jamais entendu parler. Tu dois être un imposteur. Mon collègue va te rectifier.
Le reptile noir me sauta à la gorge et planta ses crocs pleins de venin dans mon cou.
Je m'écroulai au pied de la porte suivante.
Quatrième porte
Je n'arrivais pas à évaluer les distances entre chaque porte. Le gardien avait la mine malsaine d'un corps mal embaumé.
Ta sexualité est ambiguë.
A-t-on besoin d'un sexe en ces parages glauques ?
Plus pour longtemps, tu ferais bien d'en profiter
Indique -moi plutôt la direction de la porte suivante. J'ai hâte d'arriver au terme de ce périple éprouvant.
Cinquième porte
Voici notre voyageur pressé, dit un Gardien à tête de lièvre qui ne paraissait pas bien méchant.
Si tu me bats la course, je te donnerai de précieux conseils.
Tu te moques de moi, je suis en état de choc, je ne pourrai jamais courir plus vite qu'un léporidé aux longues pattes.
Il est futé celui-ci, autant le laisser filer le plus vite possible avant qu'il ne devienne gênant.
Sixième porte
Je ne sais plus très bien où j'en suis. Peux-tu me dire ce qui se passe?
Ici c'est moi qui pose les questions, répliqua la créature hybride qui ressemblait plus à un saurien qu'à un prêtre d'Amon. Peut-être un protagoniste de bandes dessinées.
Est-ce qu'ici les histoires se terminent bien ?
Cela dépend de ton degré de résistance à la souffrance psychologique et à la profondeur de ton activité spirituelle. Mais un avorton tel que toi peut-il avoir une vie spirituelle. Dégage, plus tu ouvres ton clapet et plus tu aggraves ton cas.
Septième porte
Devant cette porte, j'éprouvai un malaise immédiat. Le danger était palpable. Un petit geek tatoué se présenta comme un guide. Il puait et parlait d'une voix nasillarde.
Mon maître sera ravi de t'étouffer dans ses anneaux.
Je n'avais jamais entendu parler de son maître. Il m'expliqua que c'était un immonde reptile qui, chaque nuit, cherchait à avaler le Soleil Noir. Sous une lumière fauve, il attendait que je traverse son fuseau horaire. Il dut me trouver peu appétissant car dès que je m'approchai de lui, il battit en retraite avec l'air contrarié d'un chat à qui sa proie a échappé.
La voie était libre, je me précipitai vers la porte suivante.
Huitième porte
Dans les mythologies un peu élaborées comme la nôtre est envisagé un semblable parcours périlleux. La plupart des voyageurs, mis à part les Héros, passent à la trappe avant d'arriver à la 8e porte, une étape délicate.
Le Gardien avait tout d'un banquier calviniste ne plaisantant pas avec les tarifs en vigueur. Quand je compris qu'il était un personnage purement littéraire, je lui crachai au visage. Il disparut en vociférant :
Maudit tricheur, tu n'iras pas beaucoup plus loin. Apprête- toi à mourir pour la seconde fois.
Sans demander mon reste, je courus vars la porte suivante.
Neuvième porte
Ici m'attendait un hermaphrodite séduisant, quoiqu'à la peau très parcheminée. Singulier Gardien du seuil qui n'avait pas l'air bien méchant.
Ne te fies pas aux apparences, je ne suis ni l'un ni l'autre.
Qui es- tu ?
Celui qui nage dans les eaux amniotiques à l'intérieur du ventre de ta mère.
Je ne comprends rien à ton discours. Montre- moi plutôt la direction de la porte suivante car je suis sur les rotules.
Avance vers la gauche mais tu regretteras bientôt de ne pas m'avoir accordé plus d'attention.
Dixième porte
Le Gardien, un serpent de l'espèce des vipères cérastes, était couché sur le seuil. Dès que je m'approchai, il se redressa.
Tu as de la chance d'être arrivé jusqu'ici sans dommages collatéraux. Pour aller plus loin, tape ton code.
Je tombais des nues ,moi qui oublie souvent les codes d'accès. Pour ne pas perdre la face, je tapai les numéros de ma carte bancaire. suivis de l'immatriculation de ma dernière voiture. Miracle de l'informatique, la porte se débloqua.
Félicitations, tu as gagné un séjour touristique
Je préférerais un droit d'asile politique. je suis un sujet du roi de Kemet.
Non, tu es ici chez toi, le maître de ces lieux adore les petits Kémitiens aux bras chargés d'offrandes.
Sans coup férir, j'atterris devant la 11e porte.
Onzième porte
Jusqu'à présent, j'avais fait un parcours sans faute mais rien n'assurait que j'aurais toujours autant de chance.
Je me méfiais des lois du Hasard et de l'art de Thot pour multiplier les obstacles.
Un chat noir, racé comme un félin d'Abyssinie m'accueillit devant cette nouvelle porte.
Quelles raisons as-tu d'être ici ?
Je n'ai aucune raison d'être ici, je passais par là, j'ai vu une porte...
Tu es bien malin, toi mais tu arrives trop tard, l'hôtel et le restaurant sont fermés. Il reste les bains bouillonnants et l'accès à la salle d'audience de Sa Sainteté. Il te suffit de pousser la dernière porte.
Douzième porte
Le Gardien, un majordome impeccable, m'accueillit avec un air compassé. Quand il ôta sa perruque et laissa tomber son masque, je fus sidéré en constatant qu'il me ressemblait comme un frère. J'avais échappé aux cameras de surveillance, j'étais le gardien de la dernière porte, j'avais gagné mon pari.
Je remarquai alors que mes mains étaient couvertes de sang et je ne sentais plus ma tête sur mes épaules.
Seth était dressé devant moi. Il déclara : Arrête de couper les cheveux en 4 et dirige- toi vers la Première Porte.
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