Quand il en eut fini avec ses démêlés avec les dieux, Khoueninpou décida de devenir prêtre. Le mot prêtre n'existe pas dans la langue égyptienne, on dit le Serviteur du dieu.
Servir un dieu n'est pas une garantie de sécurité. Labourer les champs est une activité moins lucrative mais plus tranquille.
Il se demandait parfois si l'exercice du sacerdoce ne revenait pas à une pratique thérapeutique. Je sers un dieu ouab, je suis ouab, purifié par les eaux souterraines du Nil qui ressurgissent dans le lac sacré. Tous les matins, je descends dans les eaux du Noun et je passe au-delà de la pureté. Je suis neuf, débarrassé des souillures qui s'accrochent aux vivants, polluent son mental, son psychisme, je tente de devenir moins profane, plus sacré.
Le profane est celui qui reste devant la porte du temple où n'entrent que les membres du clergé et Sa Majesté quand il y est autorisé.
Les fidèles du dieu n'ont pas besoin de pénétrer dans le sanctuaire car le véritable naos est le cœur de l'homme.
Dans ces conditions, on peut se demander à quoi sert un temple, somptueux édifice réservé à quelques privilégiés. Les entités divines ne séjournent pas volontiers sur la terre, il faut les attirer, éveiller leur curiosité. Le temple est un condensateur où se synthétisent les énergies cosmiques et telluriques. Le netjer lui-même est une forme d'énergie particulière qui se nourrit des minéraux, des images, des textes, de l'atmosphère particulière du temple quand il a atteint sa charge maximum à midi et à minuit.
Le temple croise alors la route de certaines constellations qu'il arrive même à dévier de leur trajectoire pour les aligner sur son axe. Les prêtres astronomes installés sur les terrasses des pylônes ont l'art de capter les effluves stellaires. Certaines vont faire mûrir les minéraux dans les minières, d'autres rendent vivantes la moindre partie du temple, depuis les obélisques gigantesques jusqu'à la petite pierre de réemploi qui a servi à ensemencer le monument.
Tandis qu'il déambule entre les colonnes de la salle hypostyle où est peint un zodiaque, Khoueninpou murmure : Je suis une étoile, un voyageur entre les mondes. Chaque dieu rencontré me donne une part de sa beauté et de ses charmes, même le Rien est une partie du Tout. Tem n'est pas le Noun, le Noun n'est pas Tem. Si j'osais accoler leurs noms, je serais un profanateur mais aussi l'initiateur d'une création inversée qui prendrait l'entropie à revers.
En s'installant dans le temple, le netjer change de nature. Grâce au système des offrandes, il accepte l'incontournable en se manifestant sous la forme d'un animal, d'une fleur de lotus, d'un être aux formes apparemment humaines.
Khoueninpou connaissait à présent toutes les formes du dieu qu'il servait sauf celles qui sont tellement secrètes qu'elles ne sauraient sortir de l'invisible qu'on poursuit en faisant le tour d'une colonne.
Bizarre, se dit-il, je ne sais pas si, dans ce labyrinthe, j'ai perdu le dieu ou s'il s'est tellement éloigné que je peux maintenant le toucher pour être sûr de sa présence.
Le temple ne prouve pas l'existence du netjer mais suggère que tout est possible tant que persiste l'impulsion amoureuse.
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