L'Egypte, voilà tout... Elle vous met en contact avec des choses qui ne sont pas de ce monde. John Maddox Roberts, Saturnalia.
Je suis un voleur d'images. Je les collecte sur les sites, dans les musées, les expositions, chez les particuliers qui ont l'impudence de posséder des œuvres du Nouvel Empire ou provenant des décombres de l'Alexandrie des Ptolémées.
J'aime pénétrer à l'intérieur des images, les sentir, les caresser, les vénérer. Je suis furieux quand elles sont enfermées dans des cages de verre ou de plexiglas.
Les images de Kemet ne correspondent pas à une réalité mais à une vision particulière de la création. Elles existent à la lisière du visible, du sensible, de ce que nos sens sont capables d'appréhender, d'interpréter, de replacer dans un contexte aléatoire.
Elles ont été conçues pour être placées dans un environnement à la sacralité exigeante, chargé d'une forte teneur de mystère, saturé du parfum des résines, à l'écoute des incantations murmurées pendant des millénaires.
Elles ne sont inertes qu'en apparence. Elles se souviennent du moindre son autrefois entendu, des visages des officiants, des mains douces des rois et des reines qui les oignirent d'huiles saintes en leur disant des mots d'amour.
Elles sont immortelles parce que leur cœur est minéral. Le sang qui coule dans leurs veines a la finesse et la couleur de la cornaline.
J'aimerais avoir chez moi la statue d'un dieu adolescent ou d'une déesse moulée dans une robe-résille mais je ne suis pas sûr de pouvoir supporter leur puissant magnétisme, la vie intense que leur a conféré le Rituel d'ouverture de la bouche. Je sais qu'un jour elles s'enfuiront en claquant la porte des musées pour retourner dans leur patrie d'origine que les Mages n'ont pas abandonnée.
J'aime les histoires qu'elles racontent sur le moment où elles ont pris forme dans les carrières. En Egypte, un sculpteur est un accoucheur.
Les artistes qui dessinent sont les scribes des contours. Ils n'inventent rien, ils reproduisent ce qu'ils ont vu lors de leurs voyages intérieurs, les créatures qui se cachent entre les fibres du papyrus, entre la séduction et la sidération.
En dépit de leur apparence lisse, les images de Kemet sont pleines de recoins, de secrets, de crissements et d'odeur de cire d'abeilles.
Une nuit d'éclipse, une statue-cube me déclara : Si tu nous aimes, tu seras rayé du monde des vivants ordinaires, tu apprécieras l'idée d'être un privilégié. Les artistes ne créent pas les statues, c'est le contraire. Elles vivent entre le Khaïbit et le Akh, à la manière des chats qui se dérobent quand on les contemple. La Magie exige qu'on ne cherche pas à tout comprendre, à ne pas avoir peur de son image et des ombres qu'elle projette à l'intérieur de la lumière.
Le Gardien ne pouvait surveiller toutes les statues du Double Royaume, ce qui me permit de m'emparer des plus belles et de les dissimuler dans la crypte d'un temple qui ne serait jamais détruit. Les dieux ont trouvé un dernier refuge dans leurs images. Rendues inaccessibles, elles sont devenues plus précieuses encore. J'ai appris l'art de les rendre un peu plus heureuses chaque jour.
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