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Le Vif et le Mort en Abydos




On ne venait pas en Abydos pour mourir mais pour demander au dieu vert un répit afin de contempler les champs de blé et de bleuets. Au milieu de l'été, la chaleur est intense, les pèlerins ne quittent pas la fraîcheur de la salle hypostyle mais ils imaginent qu'ils marchent encore, glissent dans le fond des wadis, escaladent les dunes, osent à peine poser les pieds sur le sol mouvant de la plus incroyable des nécropoles.

Avance car le chemin n'existe que par ta marche, déclare le Pèlerin chérubinique.


La lumière s'enroule autour des colonnes, quelque chose remonte des profondeurs. Je ne bouge plus, j'ai le sentiment d'être ici pour la première fois alors que je reviens sans cesse depuis des millénaires. De nombreuses vies pour accomplir un seul pèlerinage. L'existence ordinaire en suspension, des incursions dans des domaines intérieurs habituellement laissés en friche.


Dans ce sanctuaire en apesanteur, la mort est d'une majesté sereine et irréelle. Nulle part on est plus vivant. Certaines images sortent des parois et se promènent un moment dans le temple. D'autres se dissimulent derrière des apparences trompeuses. Les textes ne parlent surtout pas de l'assassinat du dieu mais d'une quête amoureuse aux péripéties infinies. L'amour est la seule arme d'Aset. Le pèlerin est tour à tour Seth, Ousir, Aset et ce Loup noir qui rôde la nuit entre les fausses tombes, Oupouaout, Celui qui ouvre les chemins et conduit les pèlerins vers le lieu de la théophanie. Derrière le masque lupin luisent ses yeux d'une beauté troublante. Il repère les Kémitiens au parfum qui traîne dans leur sillage. Ils ne laissent pas derrière eux l'odeur de la sueur ou la puanteur des cadavres sans sépulture qui ne peuvent pas caresser le visage du dieu. Les fragrances adaptées ouvrent les portes de toutes les chapelles.


Pour un Osirien, il était impensable de mourir sans avoir accompli le pèlerinage en Abydos. Si on n'avait pas cheminé entre les cénotaphes, on ne reconnaitrait rien des routes de l'Au-delà.

Rien n'a changé, Abydos continue à agir sur notre devenir. Il ne faut pas investir trop vite ou d'un seul coup la cité la plus sainte de cette planète. On est ici dans l'œil du cyclone. De nombreux retours, des existences multiples sont l'unique thériaque pour ne pas se perdre en route et toucher au but.


Qui est mort en Abydos sinon ce qui en nous n'avait plus de raison d'être, les cadavres dans le placard, les trépas d'une violence insupportable, la folle idée de croire que le Vif est préférable au Mort. En Abydos, quelque chose nous attend, peut-être pas au moment du pèlerinage mais à l'instant où l'on n'attend plus rien.






1 commentaire


francoise.davis06
03 juil. 2021

Le Noble Voyageur, pèlerin ébranlant la terre avec son bourdon, déjà...

en marche vers l'origine?

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