LE TRAVAIL DANS LA OUABET

Dans la vie rien n'est le fait du hasard, avec la mort le hasard devient la règle. Il était mort depuis trois jours, les sacerdotes d'Inpou l'avaient pris en charge dans la Ouabet, le lieu très pur où un être commence son voyage dans les autres dimensions de l'univers.

Il était mon ami, je voulais l'accompagner au début de son périple, lui tenir la main, le voir s'éloigner très lentement.

Je ne peux rien promettre, dit le prêtre du Loup tant que je n'ai pas pénétré dans son corps, son esprit et ses mémoires. La mort l'a éloigné de nous mais nous allons tenter de rétablir le contact.

Il dort, son BA cherche une issue, il est en apparence inerte. Ce moment de latence est nécessaire. Il lui faut rompre avec la dynamique du vivant et apprendre à penser comme si le temps et l'espace n'existaient plus.

Ce n'était pas un homme ordinaire. Il a rédigé des nombreux papyrus décrivant dans un ordre propre aux Kémitiens la géographie, la topographie des territoires du royaume des Grands Dormeurs en phase d'éveil.

Tu travailles dans le même domaine, alors parle-lui, donne-lui des précisions, des indices, des noms, fais-lui comprendre qu'il ne doit s'étonner de rien, qu'il est en train de jouer aux dés avec la Lune.

Maintenant, tous les hiéroglyphes qu'il a tracés vont lui servir de mots de passe. Aucun verrou ne résiste à l'art de Djéhouty mais il faut accepter que les plans se confondent car ce dieu marche en quinconce.

Il va rencontrer des ennemis et des alliés. Il faudra les séduire , ne jamais leur laisser l'opportunité de décider à sa place. Un défunt novice garde les connaissances acquises pendant ses années d'étude et d'expérimentations. Il doit cependant accepter de tout remettre en question, même le plus improbable.

Il va tomber sur des visiteurs indésirables qui tenteront d'entraver sa progression vers les lumières inverses. Il devra les surprendre, marcher derrière eux puis les abandonner dans un bosquet de tamaris planté dans le désert.

Quand il arrivera dans un paysage de montagnes et de villes en ruines ornées de statues en basalte poli, fais-lui comprendre que tu ne peux le suivre plus avant.

Tu continueras à célébrer pour lui les rites pendant neuf ans, non pour le retenir mais pour l'aider à franchir les obstacles, à ne plus avoir de regrets mais au contraire à progresser au-delà de tout ce qui est imaginable.

L'obscurité est relative, la pesanteur différente, les petites flammes des lampes vacillent mais persiste le sentiment que le voyage ne fait que commencer dans l'Invisible souverain.

La déesse l'attend sous un sycomore, lui offre à manger et à boire, pose la main droite sur sa nuque, lui ordonne ne ne plus jamais fermer les yeux. Désormais les portes sont des miroirs et tout fonctionne selon un ordre inverse de celui des vivants.

Elle lui dit : Ne te retourne pas, les oiseaux de nuit volent au-dessus de ta tête couverte d'un masque. Dans ton corps, il n'y a que du sable poudreux. Il est temps de prononcer les formules qui vont te rendre à l'univers.

Un autre prendra ta place dans la Ouabet.