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LE TEMPS SUSPENDU

La Tombe, un creux habité par des entités non-humaines, avait été scellée sous le règne de Thotmès le troisième. C'était un monde hypothétique qui déjouait les stratagèmes, modifiait le sens des mots et des formes.

Ceux qui l'avaient conçue avaient préparé un milieu fluctuant où l'on ne pouvait se déplacer qu'en passant d'un plan de perception à l'autre en abandonnant l'idée de faire machine arrière.

Les objets étaient placés dans un désordre apparent obéissant à une stratégie aléatoire : un miroir d'électrum posé sur un coffret en ébène, un masque d'or pur qui aurait dû recouvrir le visage d'une momie, trois flabellums en plumes d'autruche appuyés contre une paroi où les hiéroglyphes bleu-vert parlaient de l'Ombre Khaïbit, une paire de sandales en papyrus, des galets méticuleusement choisis.



Tout focalisait le regard et conduisait à la contemplation. Tout évoquait la férocité des choses en gestation et la douceur des Soleils en train de s'éteindre : des paniers pleins de noix doum, des vases emplis de miel, des grains d'épeautre répandus sur le sol, des rouleaux de papyrus qui allaient tomber en poussière au moindre attouchement, la pupille en obsidienne des yeux d'une statue qui était peut-être un dieu du Sud.


L'archéologue n'osait plus bouger. Il était seul dans la tombe. Toute son équipe était restée dehors. Il comprenait à présent pourquoi sa vie avait été si singulière, hantée par des trépassés qui marchent et des vivants qui, ayant peur de la mort, n'osaient plus s'endormir. Ici, pour la première fois, il comprit qu'on ne meurt pas si on reste dans un temps suspendu, le temps que met une flèche pour aller de l'arc au centre de la cible.


Un geste, un pas, un soupir et la tombe pouvait disparaître, se pulvériser, devenir ahurissante.

Ses yeux se posèrent sur un sarcophage en lévitation au-dessus du sol. S'il contenait un défunt, il devait être fort léger, aérien, dans la continuité d'une autre existence consacrée à voler au-dessus des montagnes désertiques de Kemet. Un dieu dirige le vol des oiseaux. Les deux milanes n'acceptent d'entrer dans la ouabet que pour battre des ailes. Noces chymiques à l'intérieur d'un athanor bien luté où ne s'attarde aucun conflit.


Dans ce milieu d'une extrême sécheresse étaient rassemblées des choses disparates mais qui se complétaient les unes les autres : des pièces de lin, des boucliers shemsou, des coupes de calcite, une dague qu'une goutte de sang n'avait jamais souillée, un carquois, la statuette d'un roi agenouillé devant le faucon horien, des bâtons de marche, des cannes de magiciens, une peau de félin, des sceptres pour commander aux éléments, un alambic, des sacs emplis de limon encore humide, des calames fluides pour ne pas laisser s'assoupir la souplesse des divins signes.


Il venait de retrouver sa tombe. Il était l'heure de la réactiver.

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