Comme les anomalies se multipliaient dans le temple, le Fils de Hapou mena une enquête. Devant l'aéropage du clergé il déclara : Rien ne fonctionne dans un temple en conflit architectural avec lui-même. Ici s'exercent des impulsions contradictoires, des dissonances, de amalgames monstrueux, des données astronomiques qui ne parviennent pas à s'aligner sur le temps cyclique de règle dans nos temples. Non seulement ce monument ne sert à rien mais il produit des ondes nocives qui affectent l'ensemble du royaume.
Le Premier Prophète était consterné, en état de choc, d'autant que depuis longtemps il dormait mal, avait perdu l'appétit, broyait du noir, ne supportait plus aucune remarque. Dans son affectation précédente, il officiait dans le modeste sanctuaire d'une déesse qui ne faisait pas de vagues, se réjouissait des offrandes et promenait son élégante silhouette aux heures d'ouverture du sanctuaire. Son ambition l'avait perdu. En voulant être à la tête d'un temple plus prestigieux, il avait perdu l'occasion de couler des jours heureux, de conduire des rituels impeccables, de méditer dans des chapelles habitées par l'Esprit divin, de se régaler de fruits, de légumes, de pains et de gâteaux offerts par des fidèles éprouvant pour leur dieu une dévotion sacrée et réconfortante.
Houy continua sur sa lancée : Pour se sortir de cette embrouille il existe deux solutions, soit on rase le temple soit on met en place un processus de réajustement.
Ni le Premier Prophète ni ses sacerdotes n'avaient envie qu'on détruise un temple aussi célèbre dans le Double Royaume du sud pour la beauté de ses reliefs et la majesté de son dieu.
Ecartons la démolition, dit Houy mais pour s'en sortir il y a du pain sur la planche.
Voici ce que vous allez mettre en œuvre dans les mois prochains :
- Accentuer la profondeur des ombres environnantes.
- Débarrasser la salle hypostyle de toutes les statues qui l'encombrent, particulièrement les statues-cube dont les radiations puissantes perturbent les systèmes de protection.
- En déambulant, n'adoptez pas un air sérieux et compassé. Optez pour la légèreté, dansez, accrochez-vous au plafond, glissez sur les sols, souriez quand vous croisez un balayeur ou un humble porteur d'offrandes.
- Par ailleurs, il serait bon que tous participent au nettoyage des lieux, les prêtres horaires, les titulaires, les divines adoratrices, les prêtres oraculaires, les astronomes, les cuisiniers, les sculpteurs, les peintres, les chanteurs, les danseurs, le Grand Intendant et même l'épouse du Premier Prophète. Les dieux préfèrent les balayeurs aux doctes commentateurs de mythes, aux hiérogrammates qui se croient plus malins que les autres.
- Il faut vous attendre à recevoir la visite de personnes intrigantes qui installeront dans l'espace sacré de nouvelles balises, d'autres dépôts de fondation et prononceront les bonnes formules au moment juste.
- Pendant toute la durée des travaux ne comptez pas sur l'aide des dieux qui séjournent dans ces zones du ciel nommées pouponnières d'étoiles.
- Les réserves de minéraux et de métaux seront transférées dans les cryptes des cénotaphes de la rive ouest sous la garde de Shemsous portant le titre de Démineurs.
- Dans les bosquets sacrés, aucun arbre ne devra être coupé ou blessé. Ils bénéficieront tous les matins de fumigations de myrrhe et d'oliban accompagnées de paroles affectueuses.
Il faut envisager que les travaux ne se dérouleront pas forcément de la façon prévue, ne suivent pas les traces de la méthodologie conventionnelle. Ces déviances d'ampleur incalculable seront de toute façon un bon moyen de régler certains problèmes difficiles à résoudre et même à envisager.
N'oubliez pas, rien ne garantit le succès de l'entreprise, le temple est en sursis mais peut-être est-ce là sa vocation première. Si tout se passe bien, les hyènes ne se nourriront pas de vos dépouilles.
Vous comprendrez que le temple est à nouveau vivant quand il échappera aux concours de circonstances et que les chats sacrés n'échangeront plus de regards furtifs et inquiets en traversant le téménos.
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