Je n'aurais jamais dû mettre un pied dans le désert, il m'a happé. Pour la première fois j'étais vraiment dans un ailleurs dont il était impossible de définir les contours. Dangereuses sont les contrées où il y a plus de lumière que d'ombre et plus d'ermites que d'affrits. Ici, on ne trouve pas dieu mais une solitude salutaire qui permet de supporter plus tard la compagnie des hommes.
Nous ignorons les noms que les Kémitiens avaient donnés aux montagnes du désert occidental. Des noms en relation avec des évènements inconnus ou avec un netjer qui s'était réfugié là pour fuir la piété gluante de ses fidèles. Ce qui n'a pas de nom n'existe pas.
Quand on s'engage dans un désert, on ne sait pas si on trouvera une issue ou si on butera contre une falaise infranchissable. Il existe un dieu des ouadis qui a bien sûr la forme d'un serpent et porte le nom d'Igaï. Il est déconseillé de dire son nom à voix haute ou de l'écrire sur un ostraca. En son honneur, on pose des jarres pleines d'eau au milieu de nulle part.
Dans le désert vivent des Affrits mais aussi des Djenoun et des Esprits dont l'objectif est de déplacer les repères. Ils multiplient les mirages et rendent illusoire l'idée d'atteindre un horizon.
Les Djenoun abattent ceux qui se perdent ou se mettent à hurler de terreur. Dans le désert, on ne plaisante pas avec le silence.
Toutes ces créatures qui existaient avant les dieux vivent dans les pierres qui parsèment les regs ou dans les filons d'or au fond des mines.
Si on passe beaucoup de temps dans le désert, le cœur change de rythme, les mémoires anciennes se réactivent, les alignements ne sont plus les mêmes.
On sait que le désert vous a adopté quand on peut marcher pieds nus sur le sable brûlant des dunes. Les déserts sont une succession de territoires à vif générant des sensations, des sentiments, des colères éphémères et de sérieux bouleversements. Il arrive qu'il pleuve dans le désert, des fleuves souterrains coulent dans les profondeurs. Pour les nomades, le paradis est un jardin bien irrigué.
Quand il est installé en vous, le désert ne vous quitte plus. C'est le royaume des Sphinx que les Kémitiens ne tenaient pas pour des créatures mythiques ou légendaires. Ils sont indomptables et échappent à la tyrannie du temps. On ne peut les apercevoir qu'à midi plein ou dans les lumières intermédiaires. L'homme est un intrus au royaume des Sphinx. Il doit le traverser sans parler, sans faire de bruit, en se faisant le plus discret possible, au risque de mourir de soif à quelques coudées d'une source.
Les Sphinx qui bordent les dromos ne défendent pas l'accès du temple mais signalent que le territoire des dieux est un désert où il est interdit de mourir.
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