Je n'étais guère pressé d'entrer dans l'Empire des morts tout en cultivant pour lui une certaine curiosité. L'idée de marcher sur la tête, de frayer avec des serpents monstrueux, ne me déplaisait pas.
Un soir, j'ai invité Aki à partager un repas copieux et bien arrosé. Dans de telles occasions, je servais un vin des Oasis de l'ouest, long en bouche, ambré et aux senteurs minérales.
Aki prétendait qu'il avait fait quelques aller-retours entre les trois mondes, l'ici-bas, l'au-delà et l'entre-deux. L'existence d'un quatrième monde ne lui avait pas encore effleuré l'esprit, même en observant dans le ciel la constellation du Scorpion où se réfugient, dit-on, ceux qui cherchent une alternative aux habituelles solutions envisagées par les vivants à l'humeur vagabonde.
Aki expliqua qu'il avait tout appris en étudiant les salamandres du Nil, porteuses d'un venin mortel, que même les cobras évitaient d'importuner. Un défunt en transit, autrefois chercheur d'or, lui avait donné quelques trucs pour éviter de s'engager dans une impasse ou de se tirer d'affaire en cas de mauvaises rencontres. Il vaut mieux circuler sous un nom d'emprunt, ne pas révéler son sexe et multiplier les anagrammes. Ne pas se montrer autrement surpris si l'on rencontre une créature bicéphale dardant une langue bifide.
Continuant sur sa lancée, Aki ajouta : Il n'existe pas un seul itinéraire. Tous ceux que propose le Livre des Morts sont de la plus haute fantaisie, nés de l'imagination de scribes non dépourvus de fantaisie et au calame inventif. En réalité, ce ne sont que sentiers qui bifurquent, lignes de fuite, carrefours où des entités malfaisantes donnent des bribes d'informations sur la métempsychose.
Dans certains recoins très à l'écart des voies les plus empruntées vivent des communautés d'anciens scribes qui se sont fourvoyés dans l'interprétation d'une langue conçue pour être lue dans un miroir et pour renforcer les codages et les lectures à sens multiples.
Lors du périple, on ne peut se targuer d'une expérience personnelle qui permettrait de ne pas tomber dans les pièges tendus par l'autosuffisance ou la croyance en l'existence de dieux sauveurs.
J'interrogeai Aki sur la manière de m'en sortir sans dommages collatéraux. Il resta évasif mais précisa que de toute façon j'allais y laisser des plumes, surtout si j'avais semé en route mes 9 Constituants, particulièrement le Cœur JB où étaient serrés les sauf-conduits, les laisser-passer, les règles des jeux de piste et une liste complète des pseudonymes vraisemblables.
Tu n'iras pas très loin si tu te laisses saisir à la gorge par une angoisse menant au désenchantement, à la persistance du cri rauque des agonisants.
D'autre part, un silence total règne sur ces paysages où rien ne change mais où rien n'est jamais pareil. Tu dois t'attendre à des passages étroits, à des rencontres surprenantes, à des confrontations avec des réalités virtuelles qui ne te feront pas de cadeaux.
Ces derniers mots me mirent la puce à l'oreille. Je commençais à douter de la véracité de ses propos et même de la réalité de son existence.
Il se faisait tard. Nous vidâmes une dernière amphore et Aki me proposa de faire un bout de route avec lui. Imprudemment j'acceptai, sans même prendre le temps d'enfiler mes sandales de papyrus.
Les mots d'un vieux maître me revinrent en mémoire : Tu n'appartiens qu'à toi. Avance car le chemin n'existe que par ta marche.
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