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LE PETIT BOULANGER DU TEMPLE

Personne ne savait que le jeune homme encore adolescent qui travaillait la nuit à la boulangerie du temple était un dieu portant le nom de Népri.



Tandis qu'il fardait les yeux du roi avant le rituel du matin, le scribe maquilleur comprit que la splendeur de Kemet était inéluctable.


Les souvenirs que j'ai de ce royaume ne sont pas comme les autres. Je revoie les visages des sujets du roi Pépi, l'or qui scintillait dans les galeries de mine, et ce scarabée qui pensait être un dieu noir que personne n'écraserait sous son talon.


Je me suis entraîné à ralentir le déroulement des événements. Je fais tout le plus lentement possible pour ne pas effrayer les Esprits du jardin, les chats, tout ce qui est vivant et court à sa perte. Quand il était enfant, le prince Thotmès restait immobile pendant des heures. Il contemplait le premier hiéroglyphe de sa titulature.


Je cherche les passages qui ne mènent à rien de connu. La cour du temple respire quand elle est vide. Un nuage d'oiseaux migrateurs vole au-dessus du lac sacré. Ceux qui ont un nom secret n'ont rien à craindre de la foudre ou des affrits qui se déplacent dans les tourbillons de sable du désert.


Pour être comprise, cette phrase demandait une attention sans défaillance. Aucun indice ne permettait de la prendre par surprise ou d'en dénaturer le sens. Les hiéroglyphes de Thot sont des couteaux tranchant dans le vif et ne laissant aucune chance aux scribes qui ne saisissent pas le signe au bond et s'endorment avant d'avoir terminé la lecture de la phrase.


Je connais des morts nonchalants, des morts excités comme des puces, des morts à l'aise dans leurs vases canopes et d'autres qui étouffent dans leur syringe. On sait moins que la plupart des tombes égyptiennes n'ont jamais été occupées. Ce sont des cénotaphes, de fausses tombes. Les nobles défunts de Kemet sont ailleurs.


Je suis revenu épuisé de mon voyage dans le Sud. Tout finissait par disparaître dans une lumière trop crue. Je n'attendais rien de ce déplacement, je ne savais plus pourquoi je l'avais entrepris, peut-être le vague désir d'un changement de perspectives ou la quête d'une odeur venue des confins du continent perdu. Le parfumeur de la famille royale avait fossilisé les senteurs les plus volatiles.


J'ai du mal à imaginer le monde qui tourne autour de Kemet, le monde des vivants mais aussi celui des morts, de ceux qui naviguent en ne perdant pas de vue les étoiles. Comment ne pas être désorienté quand on est contraint à l'exil, qu'on ne peut plus se faufiler entre les fibres du papyrus ? Je marchais sur la ligne de démarcation entre les deux royaumes. Un soleil noir n'éclairait pas mon chemin.



En observant les étoiles de la constellation de la Tortue, un prêtre astronome découvrit que le petit boulanger était un dieu. Il n'en parla à personne. Tôt le matin, il venait admirer cette divinité qui ne lui adressa jamais la parole. Il ne mangeait plus que le pain cuit dans son four qui était plutôt un athanor aujourd'hui conservé dans le temple de Renenoutet, mère de Népri, à la lisière sud du Fayoum.



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