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LE PARTAGE DES RICHESSES

Les théologiens ne se réunissaient pas dans un temple protégé par de forts murs d'enceinte mais dans une bruyante taverne des bords du Nil.

C'était le lieu idéal pour parler de l'Invisible, de la Précipitation et des bourdonnements que produisent les pyramides avant un séisme de forte magnitude.


Le tenancier de ce peu reluisant établissement était un vétéran ayant participé aux campagnes asiatiques du roi Thotmès. Il en connaissait un rayon sur la nature humaine. Athée, il vénérait en secret Hathor, maîtresse des jolies filles qui égayaient son tripot. Il aurait aimé être une prêtresse de Dendera agitant sistres et menat. Danser en compagnie de Bès l'aurait sauvé de la perdition et de l'horreur existentielle.



La taverne était fréquentée par les habitants du quartier, les pêcheurs, les pirates du fleuve, les artisans, les fonctionnaires de la Chancellerie toute proche mais aussi par des créatures aventureuses d'origine inconnue donnant l'impression de venir d'une autre région du ciel. Les théologiens tenaient ces dernières en haute estime et s'entretenaient avec elles en caressant sans doute l'espoir d'en apprendre un peu plus sur les énigmes qui nous traversent.


Des bruits couraient que des morts se mêlaient parfois aux buveurs et leur parlaient des contrées incertaines qu'ils avaient explorées en glissant, en volant, en se laissant porter par les courants. Les scribes rédigeant les livres funéraires venaient les consulter pour y puiser leur inspiration et se nourrir de leur imaginaire.


De temps à autre, on voyait un prêtre de Montou qui ne crachait ni sur la bière ni sur le vin. Bien sûr, il ne parlait pas de son office. Un peu éméché, il évoquait les phénomènes étranges qui se manifestent dans le couloir mystérieux permettant de circuler autour du naos du dieu-taureau. Le centre et la périphérie se confondent, disait-il, seuls les scorpions peuvent résister à des pressions aussi fortes. C'est une erreur de croire que la connaissance des choses périphériques doit passer au second plan. Quant au centre, il reste impossible à fixer s'il n'est pas matérialisé par un obélisque.


Le patron avait une réserve secrète de liqueur de mandragore qu'il proposait à ses clients les plus fidèles et les plus discrets. Ce breuvage donnait certes des hallucinations mais il permettait surtout de passer en un clin d'œil d'un régime à l'autre en supprimant les inhibitions et les visions incohérentes. Un scribe des contours affirmait qu'il en buvait lorsqu'il devait sculpter des hiéroglyphes qu'il ne connaissait pas et qui, par conséquent, le mettaient mal à l'aise. Il se demandait qui, chaque jour, rajoutait des signes à une langue déjà si bien pourvue.



Quand un Mage entrait, un silence glacé s'abattait sur ce lieu d'ordinaire si bruyant. Même ceux qui prétendaient que la Magie est l'art de la supercherie se taisaient, craignant d'être transformés en grenouille avant d'être gobés par un cobra. Le Mage ne parlait à personne, promenait sur la salle des regards suspicieux et disparaissait aussi brusquement qu'il était arrivé. On sentait alors un réel soulagement, les rires, les cris et les moqueries reprenaient de plus belle.


Les adeptes de la violence n'étaient pas les derniers à fréquenter la taverne. Eclataient parfois de rudes altercations qui en laissaient plus d'un sur le carreau. Le vizir ordonnait la fermeture de l'établissement mais jamais très longtemps car le patron savait tout sur tout le monde et plus spécialement sur ceux qui évoluent dans les arcanes du pouvoir. Ce qu'on savait moins est que la taverne appartenait au puissant clergé du dieu Imn qui avait besoin de toujours plus de subsides pour garnir les tables s'offrandes et pourvoir à l'entretien de l'immense cité sainte. Par ailleurs, tous les officiants buvaient de la bière, du vin et de la liqueur de mandragore. Les Egyptiens avaient aussi inventé le système économique de la redistribution et du partage des richesses dans lequel les voleurs côtoient les volés.

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