Toute la complexité de Kemet me fascine et me terrifie. J'aimerais me promener tôt le matin dans un champ de blé de la rive ouest. Je serais plus libre dans un champ de lin couleur bleu du ciel. Je n'imaginais pas que je devrais quitter le royaume et y revenir longtemps plus tard.
J'avais alors une connaissance suffisante des signes divins pour comprendre que l'histoire n'arrivera pas à son terme avant que les rouleaux se transforment en livres. J'ai tissé avec cette terre un réseau d'affinités, j'ai identifié les ports d'attache mais je n'ai pas fixé de limites. Dans le désert, on ne franchit jamais la ligne d'horizon. AKHET inatteignable et contours fluctuants. Les dynasties royales se succèdent, les temples ne sont jamais achevés, je reste malade de désir.
Ici avait existé un Paradis Perdu qui n'avait jamais cessé de se manifester et de disparaître sans s'attarder à comprendre les réalités environnantes entravant le processus de jouissance immédiate. Pourquoi ne pas installer dans les halls immenses des vieux palaces les fragments de plusieurs millénaires de splendeur ?
Il est regrettable d'ignorer l'existence des sociétés secrètes susceptibles de nous permettre de se réapproprier les visions des guerriers, des prêtres et des scribes qui maintinrent à flot la nef de la théocratie. Ils remontaient toujours plus loin dans le temps et l'espace. A leur exemple, j'ai essayé de classifier les choses, de les interpréter sur de nouvelles bases, d'entrer par effraction dans la palais fermé du roy sans perturber l'ordonnancement des rites ou la chute d'une météorite dans la Grande Mer de sable.
Pour une exposition dans une Bibliothèque nationale, ils avaient rassemblé les débris d'un empire qui aurait dû rester à l'abri des regards et des curiosités malsaines. Djéhouty ricanait sur le couvercle d'un coffret à shaouabtis, une petite armée de Mages chargés de lui ouvrir les portes et de l'escorter sur les territoires les plus incertains. J'aime suivre Thot dans ses pérégrinations à l'intérieur des noms secrets de divinités que l'archéologie n'a pas encore débusqués. Dans un boqueteau de tamaris, j'ai pris l'apparence d'un lièvre roux pour attendre le passage du Maître, Seigneur des énigmes restant à déchiffrer. Jai pris le temps de m'assoupir à l'ombre d'un palmier doum. Le dieu ne redoute pas les éclipses. Il sait réguler la montée et la descente des eaux. Quand je lui parle, il fait semblant de ne pas m'entendre mais je sais qu'il a enregistré les questions auxquelles il ne désire pas répondre. Je finirai par le confondre car je suis un fouineur acharné, un collecteur impénitent d'images à interpréter avec le cœur au bord des lèvres, le bec enfariné et la perruque de travers.
Qui se cache derrière Djéhouty ?
Qui me guide dans les méandres du Paradis Perdu ?
Qui attend dans la crypte ?
Qui me consolera quand je serai arrivé ?
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