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LE MYTHE INESTIMABLE

- Tu ne divulgueras pas ce que tu as vu dans l'île souterraine.

- Et si j'ignorais cette injonction ?

- On te coupera la tête après t'avoir tranché la langue.

- Je ne dirai rien, j'ai compris, l'origine et la fin du mythe sont insaisissables.

- En es-tu certain ?

- Ce n'est pas une histoire de mort mais de délivrance.

- Que faisait ton père ?

- Il était pilote sur un navire qui convoyait des pèlerins en Abydos.













- Il est mort ?

- Je ne sais pas. Un jour, il est parti et n'est plus revenu.

- Avait-il trahi le dieu qu'il servait ?

- Je ne crois pas. Il aimait l'idée même du secret. Il était taciturne.

- As-tu déjà vu le cadavre du dieu emporté par le fleuve ?

- Quand je suis sur un bateau je ne regarde pas le fleuve mais les rives.

- D'où venait le dieu ?

- De l'extrême Occident.

- Pourquoi a-t-il choisi Kemet ?

- Il pensait que cette terre noire serait pour lui un refuge, un jardin sans violence, un espace entre plusieurs vies.

- Il s'est trompé ?

- Non, les dieux font seulement semblant d'être dupes. Ils ne posent pas de questions, laissent venir les choses. Les poissons les plus vigoureux remontent le courant, les autres sont emportés vers la mer salée.

- On ne peut voir le dieu mais parfois quelque chose révèle sa présence.

- Oui, une odeur de limon et d'herbes en décomposition.

- Tu aimes marcher dans la boue ?

- Non, je préfère avancer dans le sable ou sur un sol couvert de petits débris qui rendent sous les pieds un son métallique.

- Du mythe se dégage une étrange tristesse.

- Etrange, la tristesse est supportable, les souvenirs aussi.

- De quoi te souviens-tu ?

- Des enchaînements, des détachements, des chutes dans le vide.

- Ce qui reste du mythe est-il utile ?

- Non, pas utile mais inestimable.


J'aime le mythe osirien car il navigue entre le présent, le passé et le futur.

Il est impossible de l'enfermer dans le spatio-temporel.

Pour autant, il ne voyage pas sans but, il donne le désir de partir, même lorsque l'humeur est morose, le temps incertain.

Il invite à pratiquer des rites, à se hisser sur un plan supérieur, à accepter que les choses ne soient pas permanentes afin de rester belles et attachantes. La seule vérité est le pouvoir de l'invisible dans un sanctuaire qui n'a jamais été bâti.

Osiris est à la fois présent et absent. Il est à l'intérieur de nous. Avec lui, je ne suis pas dans ma tombe, même pour un instant.




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