Tous les matins, je parle au sycomore planté dans mon jardin. La limite entre les plans semble de plus en plus incertaine. Henenpou n'en finissait plus de recopier le Livre de la Vache du ciel. S'agissait -il de Nout, de Neith, d'Hathor, d'Aset ou d'Hesat ?
Je m'acharne à vivre dans l'inquiétante familiarité du royaume du sud, pourtant je ne suis plus le même. Le nouveau roi est une réplique de son prédécesseur mais on sent que de profonds bouleversements se préparent dans l'invisible.
Le calame d'Henenpou butait toujours sur les mêmes hiéroglyphes qu'il finissait par abandonner à leur sort. Un signe du destin ou une malédiction ?
Henenpou était un homme sans histoire qui restait malgré tout intrigant. Les scribes sans histoire finissent par poser des problèmes. Son supérieur hiérarchique avait renoncé à le comprendre. Il passait du bon temps avec des Nubiennes dans les tavernes à bière. Il aimait les filles qui n'avaient jamais lu le Livre de la Vache du ciel. On ne mélange pas le travail et le plaisir.
Mieux vaut un bon shaouabti qu'un médiocre netjer. Les shaouabtis aiment serrer un BA entre leurs bras. Quand mon BA s'éloigne, je ne me sens plus en sécurité. Cloué au sol, j'attends le coup fatal qui fera de moi un défunt émasculé et décapité.
Les souverains de Kemet n'ont jamais su sur combien de sujets s'exerçait leur autorité. Les Egyptiens méprisaient à juste titre les statistiques. Ils avaient une conception hypnotique de l'Histoire événementielle. Le temps linéaire les déconcertait.
Dans le Livre de la Vache du ciel, il est surtout question d'étoiles et de phénomènes intergalactiques.
Henenpou pensait qu'il était originaire de la constellation d'Orion où il finirait par revenir.
Dans le ciel nocturne, le roi n'est pas une étoile plus brillante que les autres.
Les événements s'inscrivant dans le temps linéaire sont d'une affligeante banalité.
Toutes les interprétations du Livre de la Vache du ciel sont erronées. On se demande qui a pu pondre un tel ouvrage qui multiplie les pistes d'atterrissage et prend à contre-pied les divins signes.
Ce texte est une bombe à neutrons remettant tout en question à chaque ligne.
Inenpou, à l'origine, était comptable et trouvait curieux qu'on lui ait confié un rouleau aussi sibyllin. Il se posa de nombreuses questions et regretta sans doute le temps où il comptabilisait les offrandes faites au temple par les fidèles. Hébété, il mourut avant d'avoir achevé son travail.
Ce scribe est décidément un cas d'école, une énigme pour les philologues allemands dont il hante les jours et les nuits.
La vérité c'est que j'ai la trouille de m'éloigner de mon sycomore.
Quand, après de nombreuses heures de vol, Inenpou débarqua à l'aéroport de Louxor, il comprit que l'histoire était loin d'être finie. Il imagina alors un autre angle d'attaque de peur de se retrouver entre les cornes acérées des vaches divines.
Dans la salle de réception des bagages, les gens n'avaient pas l'air dans leur assiette. Un vieux monsieur chauve lisait Al Haram, un journal où il n'est jamais question du Livre de la Vache du ciel.
LE LIVRE DE LA VACHE DU CIEL
Il s'agit d'un récit d'origine héliopolitaine, rédigé à l'époque amarnienne, narrant les événements qui ont failli aboutir à la destruction de l'humanité après que Rê, ulcéré par l'impiété des hommes, se soit retiré dans le ciel, accroché au ventre plein d'étoiles de la Vache céleste. Il charge Hathor d'anéantir les humains qui ont fui dans le désert puis, pris de remords, il enivre la déesse avec une bonne bière rouge qui calme ses ardeurs destructrices. Ce dieu est trop bon, n'a aucune suite dans les idées !
Ce livre ne brille pas par sa cohérence et regorge d'allusions mythologiques impossibles à appréhender. Grâce à de nébuleuses explications de Thot, on finit par comprendre qu'il ne s'agit pas de la fin du monde mais de l'ultime étape de la création ou plus exactement d'une réorganisation du cosmos.
Le premier exemplaire connu du Livre se trouve sur l'une des chapelles en bois doré entourant le sarcophage de Toutankhamon.
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