Un monstre inconnu s'était réfugié dans les circonvolutions du labyrinthe d'Hawara, dans le Fayoum.
Dès qu'il fut prévenu, le roi arriva au plus vite, prêt à en découdre avec la bête, mais il ne put rien faire car le protocole interdit au souverain de Kemet de pénétrer dans un labyrinthe. Les Shemsou se récusèrent car ils entretiennent avec les monstres d'étroites affinités. Ils ne peuvent combattre que ceux qui menacent vraiment l'Ordre. Le Grand Prêtre de la pyramide se déclara prêt à affronter cette créature. On l'écarta car on voyait mal ce vieillard cacochyme combattre un monstre musclé, velu et affamé.
Avoir un monstre dans le labyrinthe n'est pas en soi un problème tant qu'il n'ébranle pas la terre de Tatenem et ne réclame pas trop de chair humaine.
Une enquête fut diligentée par le Vizir pour déterminer la nature de la bête qu'un certain nombre de personnes prétendaient avoir vu avant qu'il ne disparaisse dans le dédale obscur.
A quoi ressemblait-il ?
Un plaisantin déclara qu'il avait la gueule du Vizir. Son insolence fut punie par trois coups de chicotte sous la plante des pieds.
Un jardinier du temple l'avait aperçu derrière un portique. Il était trop loin, il ne put préciser s'il avait la taille d'une chèvre ou d'un hippopotame.
La petite fille d'un balayeur précisa qu'il avait deux paires d'ailes sur le dos et qu'il lui avait gentiment parlé pendant un moment. Parler, en quelle langue ?
Mais dans la nôtre, ce monstre est Egyptien !
Ces dernières remarques ne plurent pas trop aux enquêteurs. On préfère un monstre bien étranger, très différent de nous.
Un prêtre de Sobek clama que la bête n'avait rien d'un reptile ou d'un saurien. Le crocodile divin de l'oasis ne pouvait être le père de cette abomination.
Tous ces témoignages ne menaient à rien, la confusion était totale, les petites gens se plaignaient d'être mal défendus par le pouvoir en place. Les rumeurs se multipliaient. Le Vizir estima qu'il fallait passer à la vitesse supérieure.
On se mit à la recherche d'un volontaire qui entrerait dans le labyrinthe et débusquerait la bête.
En réalité, personne n'était entré là-dedans depuis des siècles. On se souvenait à peine du nom du roi Amenhemat qui l'avait fait construire.
L'Archiviste en chef du nome ne trouva pas grand-chose dans ses vieux papyrus. Aucun plan, aucune mention d'évènements surnaturels, aucune trace de monstre.
Une jeune personne, fille d'un pécheur du lac, proposa sa candidature. Elle n'avait pas froid aux yeux, elle avait mis au pli ses quatre frères. Le Vizir aurait préféré un garçon mais, après tout, ne dit-on pas que les monstres aiment la chair des vierges.
Vêtue d'une magnifique robe à résille, pourvue de tout un arsenal d'amulettes, notre héroïne franchit sans hésiter le seuil du labyrinthe à l'aube. Trois interminables jours passèrent sans que rien de nouveau se produise. L'Etat avait envisagé de lui offrir une momification gratuite et un mobilier funéraire digne d'une princesse.
Le quatrième jour, à midi, en plein soleil, elle sortit fraîche et pimpante de l'antre du monstre et déclara : j'ai parcouru tous les couloirs, visité toutes les chambres et je n'ai pas vu l'ombre d'un monstre. Cependant j'ai eu en permanence la désagréable impression d'être suivie. Il n'y a pas de monstre dans le labyrinthe, pas même un tas d'ossements ou de traces de sang sur les murs.
La jeune fille fut congratulée et couverte de cadeaux. Quelques mois plus tard, elle épousa le fils du nomarque qu'elle mit rapidement au pas.
L'Archiviste chargé de rédiger les minutes de l'affaire nota au final : Il n'y a pas de monstre dans le labyrinthe d'Amenhemat, en tout cas pas de monstre identifiable qu'on aurait pu adopter, égyptianiser et aimer.
Qui a conçu ce labyrinthe un brin fantaisiste dont le centre nous ressemble...? Plutôt accueillant finalement 😉