Provoquant mais pas péremptoire, ce scribe est chargé dans la Per Ankh d'un enseignement bien particulier. Pas un enseignement classique mais plutôt une méthode élastique pour ne pas entrer en conflit avec le monde.
Il tient les dieux pour quantité négligeable sauf s'ils se manifestent sous leur forme animale. Un bélier laineux est plus vénérable qu'un discours théologique sur le netjer Khnoum. Sa Toison d'or rend les étoiles moins lointaines. Djéhouty répète que le secret est sous nos yeux, dans la Nature, surtout quand elle est Naturante.
Les théories les plus aberrantes sont parfois les plus justes car elles nécessitent un effort de compréhension puis d'adaptation. Si les énigmes se multiplient, c'est qu'on approche de Maât. Elles ne sont pas des obstacles mais une course en quinconce dans un labyrinthe mobile peuplé de créatures fluides.
Pour mieux le connaître et me faire bien voir, je proposai au scribe mes services pour porter son matériel d'écriture et son coffret à papyrus jusqu'à sa demeure. Il répliqua qu'il n'avait nul besoin de moi et que, depuis longtemps, il ne possédait plus de calames, de palettes, de papyrus ni de tout ce qui peut polluer l'esprit d'un homme libre.
Penser n'est pas une bonne méthode. Polypenser n'est pas plus sûr mais plus satisfaisant. Si demain le Soleil ne se lève plus, nous ne serons pas venus pour rien !
Il évoqua un jour un homme qui disparut subitement alors qu'il occupait de lourdes charges dans l'administration royale. Son serviteur le plus proche, longuement interrogé par la police royale, précisa que son maître était peut-être trop normal pour être honnête. Quand il pensait ne pas être observé, il faisait des grimaces dignes de Bès, avait l'air ailleurs et tel un échassier se tenait sur une jambe.
Les esprits simples pensent que le sacré est plus intense dans un téménos ou un Naos. C'est en partie inexact mais pas complètement faux. Quand il ne tombe pas sur un lieu propice à sa tranquillité, le sacré se niche là où il peut, à la cime d'un arbre, dans un joint entre deux lits de pierre, dans les yeux d'une statue, dans un hiéroglyphe anodin à l'intérieur d'une phrase trop longue. Un téménos comme Dendera attire le sacré par capillarité.
Nous ne sommes pas incompatibles avec la réalité quand elle est relative. Plus elle s'approche du concret, plus elle nous éloigne de l'absolu. Ceci peut nous procurer une vie confortable ne dépendant pas d'une volonté extérieure. On doit pratiquer de petites mais incessantes escapades à la périphérie d'un jardin trop bien entretenu. Dans le bassin, les tilapias dansent pour éviter d'avoir recours à la violence. Quand nous dansons, les centres de gravité se déplacent. La reine danse autour du roi, attaché nu à un poteau de sacrifices. Notre vieille monarchie a conservé l'usage de rituels élaborés par des Hiérarchies sauvages et nomades qui adoptèrent Kemet pendant le temps de leur gestation. Depuis, elles ont quitté la terre en laissant dans notre royaume des indices pour reconnaître les exterminateurs quand ils seront de retour.
On se plait à penser que ce qui tourne en rond est parfait. La perfection serait donc une forme sans aspérité que l'humain ne peut troubler. NEFER NEFEROU est notre mot pour parfait, une perfection éparpillée en mille formes de beauté. Pas de clôtures, pas de frontières, pas d'horizon et pas de sphères effroyables qui tournent pour échapper au Vide. Le Vide est nefer neferou, une tension persistante pour charpenter une histoire ou un dieu qui ne peut être unique au risque de nous anéantir.
J'ai compris depuis que les propos du scribe étaient à prendre avec des pincettes et qu'ils nécessitaient des lectures multiples et attentives.
Ce scribe était un mixte de singe et de renard. Il ne prétendait pas que notre système était à bout de souffle. Il nous recommandait de ne pas négliger la progression des nébuleuses sombres, la trajectoire des boomerangs, la résurgence des sources, la participation des entités divines à notre vie associative dans le domaine des onctions. Cette idée d'onctions me convenait bien. Je me procurai auprès du plus célèbre des parfumeurs de Mendès un baume aux fragrances d'une rare efficacité.
En fin de trimestre, avant la remise des diplômes, je l'offris à mon maître qui l'ouvrit, la huma et déclara : C'est gentil mais si tu voulais m'embaumer, tu as raté ton coup. Reprends ton présent. On ne parfume pas un Egyptien, un homme qui est déjà en odeur de sainteté.
Voici une icône troublante en correspondance avec les propos du scribe singe-renard.
Je vous laisse le loisir de la déchiffrer.
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