Roudamon était charpentier de marine attaché à la Maison d'Imn. Chaque année, il construisait une nouvelle nef pour faire naviguer une statue du netjer des vents qui souffle l'invisible sur le visible. L'image était conçue pour dérouter les fidèles. Au mieux, il avait le visage du souverain régnant, au pire il ne ressemblait en rien à un Egyptien de bonne naissance.
Les jours de navigation sacrée, Roudamon restait au fond de son lit douillet. Pendant des mois, il avait vécu sur le bateau en construction. Il en connaissait toutes les chevilles et ne pouvait plus le voir en peinture. Il en venait à espérer qu'il coulerait à pic entre Karnak et Louxor, sous les yeux effarés de la famille royale installée en grande pompe sur un ponton couvert de fleurs et de tables d'offrandes.
Ces pensées impies le mettaient mal à l'aise mais elles revenaient année après année et, s'il n'éprouvait pas de remord, il ressentait tout de même un certain malaise. Si le dieu se noyait, il serait tenu pour responsable et risquait de finir empalé à l'orée du désert.
Il consulta un mendiant réputé de bon conseil qui vivait à l'ombre du premier pylône d'Ipet Sout et qui n'avait pas la moindre idée sur le travail d'un charpentier de marine. Roudamon ne savait trop comment lui faire part de son dilemme. Il ne voulait pas non plus passer pour un artisan n'aimant pas son travail. Il appréciait ce qu'il faisait mais il y avait quelque chose qui coinçait avec cette maudite barque processionnelle.
Pouilleux mais perspicace, le mendiant écouta patiemment cette histoire plutôt extravagante.
Il lui déclara : Un navire est fait pour naviguer mais ce que tu fabriques n'en est pas un, c'est un naos flottant bien incapable d'affronter la Mer Rouge ou la Grande Verte. S'il coule au milieu du fleuve, on ne pourra t'incriminer. Tu construis des engins flottants, pas des tabernacles réceptacles d'un mystère intrigant tout le monde.
En cas de naufrage, le roi, le prince et leurs sujets seront ravis. Débarrassés d'Imn, ils pourront passer à autre chose et toi, tu pourras t'engager dans une expédition à la recherche du Royaume de Pount. Tu démontreras alors toute l'étendue de tes talents.
En le quittant, Roudamon lui dit : Tu sais, en mon art, je suis un maître reconnu.
Le mendiant rétorqua : Même les maîtres qui ont appris à marcher sur l'eau finissent par se noyer. Il suffit d'un moment d'inattention, d'un faux pas, d'un léger supplément de fatuité. Une petite vague peut faire couler un gros navire et le charpentier ne sera jamais tenu pour responsable. De plus, la barque d'un dieu ne peut chavirer car elle est conduite par les Esprits qui connaissent le Nil mieux que personne.
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