Les morts marchent paisiblement dans mon jardin. Ils ne sortent pas de l'autre monde, ils ne se sont guère éloignés du lieu de leur trépas. Les Egyptiens ne quittent pas leur royaume.
Ils ne se soucient pas du regard que je peux porter sur eux. Ils ne cherchent pas le contact. Ils évoluent dans une dimension parallèle, à la fois proche et lointaine.
Certains glissent sous la surface, d'autres se laissent porter par les courants aériens, d'autres encore ne sortent jamais des états intermédiaires.
Aussi ai-je été surpris quand l'un d'eux s'adressa à moi au moment où les loups partent en chasse. Son discours était loin d'être clair, plutôt un sabir usant de mots oubliés, de tournures de syntaxe remontant à l'époque prédynastique, un rythme proche du gazouillement des oiseaux.
Au bout de quelques jours, je me suis habitué à cette langue, j'ai même commencé à en goûter la saveur. Certaines intonations me donnaient le frisson. J'étais toujours en attente de la suite, même si nombre de difficultés subsistaient. Ce n'était pas un discours à comprendre mais à recomposer, à remettre en ordre.
Quand le crépuscule tombe, nous regardons disparaître les arbres. Nous avons appris très tôt à piétiner nos souvenirs, à écarter ce qui refuse d'entrer dans l'histoire linéaire.
Dans le ciel tournent des êtres malveillants rêvant de nous plaquer au sol. La lenteur est notre sauvegarde. Les gestes fluides repoussent les destins funestes, les plantes toxiques, les abus de pouvoir, les inconvénients inhérents à une mauvaise définition de l'espace.
Me croirais-tu si je te disais que je suis un relais qui a du mal à jouer son rôle. Nous n'avons pas besoin de nous parler pour nous comprendre mais, sans les mots, il manquera toujours quelque chose.
Il est difficile d'adopter les valeurs d'un monde antique, les marches d'approche sont longues et délicates. Une poussée un peu trop forte peut provoquer des effondrements.
Il faut se presser d'accueillir ce qui va mourir de la seconde mort. Passé ce cap aventureux, il sera trop tard.
Osiris est momifié mais il marche. Il ne se dirige pas vers une nécropole mais vers un champ où le laboureur ouvre la terre pour libérer des étoiles. C'est un Soleil futur qui est mort plusieurs fois.
Le laboureur est le vrai roi de Kemet.
En fait, Ousir est un enfant dont le nom est Népri, le netjer des grains de blé. Pour survivre, il fait le mort en évitant de signaler sa présence.
Nous sommes des Osiris quand nous refusons de mourir pour la seconde fois.
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