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La rate au court-bouillon

Nakhtmin, bien calé dans un fauteuil confortable couvert de feuilles d'or, lisait le New York Herald Tribune dans sa version hiéroglyphique classique. Quel niaiseux a osé dire qu'on ne vivait que sur un seul plan ! Une érection spontanée souleva son pagne en fin lin plissé. Quand on s'appelle Nakhtmin - Min est fort - il faut s'attendre au pire et au meilleur. Il vivait à la fin du long règne de Pépi Premier, dans le respect de la hiérarchie. Au XXIe siècle, la hiérarchie nous sodomise mais nous continuons à payer les taxes.


Sans aller jusqu'à dire que l'Egypte a connu trois millénaires d'instabilité, on ne peut prétendre qu'elle fut toujours un royaume tranquille. La vie quotidienne n'a pas souvent la solennité glacée de l'Histoire.

Nakhtmin aimait son souverain qui, lui, ignorait jusqu'à son existence. Ils vivaient à la même époque mais pas sur le même plan. Etre ici et ailleurs est le secret de la longévité.

En fait, Nakhtmin n'était soumis à son souverain qu'en apparence. En réalité, c'était une forte tête qui fonçait dans les murs quand il en avait envie. Un mur en gros blocs de granit moucheté peut faire mal. Aujourd'hui, il serait un automobiliste dangereux lancé sur la route des vacances. Une voiture lancée sur une paroi de granit peut aussi faire très mal.


Le New York Herald ne donnait pas que de bonnes nouvelles. Le chef de l'Etat était en train de devenir gâteux, il n'avait plus le mandat du ciel, le chaos était proche. Nakhtmin s'en moquait, il savait que rien ne peut s'arrêter si rien n'a commencé.

Parfois, il vaut mieux s'abstenir de penser et laisser pisser l'hippopotame. Quand ce pachyderme saccage un champ de petit épeautre, il estime être dans son droit comme le chat qui tord le cou à un oiseau.

Si nos vies étaient linéaires, elles seraient rapidement ennuyeuses. Les trains ne dérailleraient plus et jamais le navire royal ne percuterait un gros rocher dans la Première Cataracte.

Les aventuriers le savent, en se confondant les plans rendent la vie attrayante. Les nourrissons prospèrent, les lionceaux deviennent tranquillement des fauves sanguinaires, les assassins polissent la lame de leur poignard, Ousir et Aset folâtrent au milieu des fleurs bleues du lin.


Nakhtmin estimait que le roi Farouk n'était pas l'héritier légitime des pharaons. On aurait pu trouver moins Albanais, plus Egyptien, davantage porté sur les mystiques orientales.

C'est parce ce qu'ils on fait édifier des temples d'une perfection extra-terrestre que les pharaons ont subsisté pendant des millénaires. Arrêt des chantiers, arrêt de la théocratie. Panne générale des systèmes informatiques, fin de notre monde connecté. Les gens épouvantés hurlent : il n'y a plus de réseau. Comment allons-nous commander nos cadeaux de Noël ?


Les sarcophages anthropomorphes rendent la mort chatoyante et surtout moins abstraite. Un beau sarcophage, au contraire de nos hideux cercueils, peut devenir une authentique pièce de musée. Celui de Nakhtmin fait la fierté d'un youpi de la Silicone Vallée qui l'a transformé en meuble bar donnant un nouveau sens à sa vie. Ce gros nase a quand même eu le bon goût de placer la momie de notre homme dans une chambre forte aux dimensions de celle de Khufu-Khéops.

Nakhtmin n'en espérait pas tant mais il aurait préféré rester au bar à descendre du bourbon pendant plusieurs siècles. Mais ce qu'il aurait apprécié par-dessus tout, c'est que son sarcophage, sa momie et ses 9 Constituants soient replacés dans la jolie petite tombe qu'il s'était fait creuser dans la nécropole de Meir.

Certains esprits grincheux affirmeront qu'ils n'ont rien compris à cette chronique. Qu'ils se rassurent, moi non plus. Cette histoire est à situer sur plusieurs plans. Ce n'est pas facile de parler de physique quantique en utilisant les mots de la théosophie. Nous n'allons pas pour autant nous mettre la rate au court-bouillon.

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