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La mort en ce jardin

Mon nom est Pépi, je suis un scribe au service d'Amenhotep Fils de Hapou, scribe royal, architecte, bibliothécaire, médecin et Ami unique de notre roi Amenhotep le troisième. Un souverain fastueux, gourmand comme une chatte, hédoniste, ayant su s'entourer de collaborateurs remarquables comme mon maître. Devant lui, Sa majesté est comme un petit garçon qui s'efforce, sans toujours y parvenir, d'écouter de sages conseils sur l'art et la manière de conduire les délicates affaires de l'état pharaonique.





Nous sommes à ce qui correspond chez vous au mois de janvier, la température est idéale, la douce brise du nord caresse la chevelure des palmiers, arbre sacré de la grande Aset. Qu'elle nous accorde Vie, Force et Santé ! Je considère AFDH comme mon mentor, même si j'ai parfois du mal à suivre les circonvolutions de sa pensée. Il ne donne pas de leçon, ne parle pas sur un ton docte et énervant. Il commence par un détail en apparence insignifiant avant de se lancer dans un discours qui vous cloue au sol, vous donne le vertige.

Il m'a avoué un jour qu'en privé et avec ceux qu'il appréciait, il s'exprimait dans la Langue des Cynocéphales, un idiome thotien que parlent aussi les crocodiles, les chats, les serpents et les oiseaux. Autrement dit, il faut s'accrocher pour ne pas perdre pied mais le jeu en vaut la chandelle.

Avec le temps, j'ai affiné mon écoute. Un mot bizarre et je dresse l'oreille que me tiraient souvent mes instructeurs quand, enfant, je faisais l'apprentissage des divins signes.

Ce matin-là, des oiseaux aquatiques s'ébattaient dans le bassin. Nous marchions dans le jardin qu'Amenhotep avait fait installer autour de sa demeure avec tout l'art d'un botaniste, d'un paysagiste, d'un esthète, d'un amoureux de la Nature. Un enchantement végétal, un paradis pour les animaux à poils, à plumes et à écailles.

Myésis, le confortable matou de mon maître, nous suivait d'un air nonchalant tout en restant très attentif à ce qui bougeait dans la verdure et dans l'invisible.


Soudain, le scribe royal lança :

- Aimerais-tu, Pépi, mourir dans un jardin ?

- Dans celui-ci sans doute, on est déjà au paradis.

- Alors tu imagines que l'au-delà est une sorte d'oasis ?

- Je n'imagine pas grand-chose de précis mais tu vas peut-être m'en dire plus ?

- Pour cela, il faudrait y être allé.

- C'est sans doute ce que tu as fait ?

- Catabase, anabase, entrer dans le monde des morts osiriens n'est pas difficile, en ressortir est une autre affaire !

- Est-ce si beau qu'on ne veut plus en sortir ?

-Non, ça ne ressemble à rien de connu, tout y est agencé autrement, les odeurs, les perspectives, les arrangements, le décor. Même les idées qui te passent par la tête ont une autre gueule.

-Tu en dis trop ou pas assez, tu y a donc fait plusieurs incursions ?

-Tu es bien curieux mais si je te proposais de t'y conduire, me suivrais-tu ?

- Sans hésitation. Je me munirais d'un calame et d'un rouleau de papyrus pour prendre des notes afin de ne rien oublier.

- Voilà bien une idée de scribe obsédé ! Là-bas on n'écrit pas, on observe seulement en essayant de ne pas attirer l'attention. On en prend plein les yeux et les oreilles pour pas un deben d'or pur. Pour les vivants, l'au-delà est imaginaire, pour les morts il est réel, pour les Autres, c'est un lieu ou plutôt un état de prédilection.

- De quels Autres parles-tu ?

- De ceux qui ne sont ni morts ni vivants, par exemple les scarabées, les iules, les embryons, ceux qui avancent masqués ou ne sont jamais au bout de leurs surprises.

- Alors, tu dois être un Autre.

- Si je l'étais, je ne te le dirais pas mais allons plus loin. Sais-tu seulement ce qu'est un mort ?

- Je ne répondrai pas à cette question pernicieuse. J'attends que tu m'informes.

- Un mort est la dissolution d'un mélange dans un contexte où rien n'est immobile. Les apparences sont trompeuses car il est animé d'une autre forme de manifestation. C'est un vif qui prend les apparences d'un mort afin de se glisser dans tous les interstices pour en tirer un grand profit.

- On ne peut pas dire que j'ai tout compris mais je suis prêt à en entendre encore. Quand tu commences à vaticiner, tous mes sens sont en alerte.

- Alors, écoute ! Un vieux texte dit : Seul un défunt est en mesure de connaître la forme réelle d'un dieu.

- Donc pour avoir la preuve de l'existence des dieux, il faut être mort ?

- Je n'ai pas dit cela. Certains vivants qui font semblant d'être morts peuvent contempler un dieu dans son naos.

- Le dieu ne distingue donc pas un mort d'un vivant.

- Ne fais pas l'idiot ! A vrai dire, le dieu n'est concerné ni par la mort ni par la vie, il est ailleurs, sur un autre plan. Seuls les humains acceptent ou refusent la mort. Quand ils font l'erreur de choisir, ils se font piéger.

- Sais-tu comment on appelle les morts chez nous ?

- Oui, les ntyw im, ceux qui se trouvent là-bas.

- C'est bien, nous n'avons pas fait le tour de la question mais nous y reviendrons. Le soleil est déjà haut dans le ciel, nous devons nous rendre au palais pour pousser notre jeune souverain vers son devenir. Il va être ravi, j'ai trouvé pour lui une ravissante épouse, Tiyi, fille d'un prêtre du dieu Min à Akhmin.

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