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LA CLEPSYDRE

J'avais pris l'habitude d'attendre, le retour de la crue, la décrue, le début de la Fête d'Opet, la fin de la Fête de la Bonne rencontre, l'anniversaire du trépas de ma mère, l'apparition de la nouvelle lune, la reprise des douleurs dans mes genoux. Attendre était devenu une occupation à plein temps.


Je ne vivais pas dans un environnement inhospitalier, pourtant je redoutais que les énigmes embusquées dans le temps me sautent à la gorge.

J'attendais le dernier moment pour prendre une décision, ce qui me valut bien des déboires. J'étais désemparé quand je devais honorer un rendez-vous qui mettrait fin à une longue attente.


J'aimais faire attendre mes amis, mes proches, mes collaborateurs en arguant que rien ne se fait dans la précipitation comme le savent bien les oiseaux migrateurs et les dieux, peu pressés de prouver leur existence.



Un temps, j'avais été gardien de la clepsydre qui rythmait le temps liturgique dans le temple de Thot où j'officiais. Attendre la chute de chaque goutte d'eau avait été pour moi à la fois un délice et un supplice. Liquéfié, le temps devient moins sauvage mais plus obsédant. Il laisse à l'attente le loisir de s'épanouir. Une goutte poussant l'autre, je prenais mon mal en patience et j'appréciais l'humour de l'artiste qui avait écrit sur le bord intérieur de la clepsydre : Après nous, le déluge.


Mon épouse, que mes atermoiements avaient toujours exaspérée, me poussait à nous faire aménager une tombe digne du couple que nous formions. Je faisais la sourde oreille.

Je ne suis pas complètement idiot. La mort était une chose que je n'anticipais pas, en vertu du principe qu'en attendant trop la fin on risque de la précipiter.

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