Je suis venue et j'ai repris courage

Je n'ai jamais voulu être autre chose qu'un scribe égyptien.

Me promener à l'Ombre-Khaïbit des arbres de mon jardin.

Chez nous, les légumes ont le goût du limon.

Quand j'apprends que Sa Majesté va passer en bateau, je cours sur les rives du fleuve pour voir un homme qui ne sait pas encore qu'il est un dieu.

Chez nous, les fruits ont le goût du soleil et de la lune.

J'aime Aset-Isis quand elle dit : Je suis venue et j'ai repris courage.

J'ai mémorisé le nom des 42 nomes - Sepat- de Haute et Basse Egypte : le Térébinthe supérieur, le Serpent, le Sceptre, le Couteau, les Deux plumes, le Lièvre, l'Oryx blanc, l'Epervier volant, le Reliquaire d'Osiris etc.

Quand la nuit tombe, je regarde le monde disparaître peut-être pour la dernière fois.

Ce ne sont pas des oiseaux que je vois passer dans le ciel mais des objets vivants beaucoup plus aléatoires.

Je ne sais pas grand-chose sur la vie sinon qu'elle est imprévisible et obéit à d'étranges rituels.

Quand on parle du Double Royaume, on évoque ce qui est visible et ce qui ne l'est pas.

Je suis heureux quand je prends mon calame mais aussi quand je le pose.

Le temps coule moins vite quand on passe une journée sans voir personne. Seul avec soi-même, chaque seconde est précieuse.

Le passé et le futur ne m'affectent plus depuis que j'ai renoncé à prendre des notes sur le présent.

Je trace sur les bandelettes de lin qui serviront à emmailloter un corps des incantations en écriture rétrograde.

Une lionne et ses petits a été aperçue à quelques encablures de mon domaine. Je l'attendais depuis que j'avais écrit un texte sur les félins dicté par un prêtre de Sekhmet.

L'écriture sert aussi à débusquer l'impensable.

Nous idéalisons les Ancêtres que nous aurions aimé avoir. Ils ne valaient guère mieux que nous, ce qui ne les a pas empêché de se catastériser.

Les rites funéraires ne sont pas destinés aux défunts mais aux vivants en attente de mourir. La mort serait-elle une vue de l'esprit ?

Pas de trousseau funéraire dans ma tombe, pas de nourriture. Je veux voyager léger. Mes amis critiquent mon impudence, me disent que je suis peu respectueux des coutumes de notre royaume. Ce qu'ils déplorent le plus est la suppression du banquet funèbre.

Pour être libre, il faut s'organiser, prévoir des plans B, ne compter sur personne et n'en faire qu'à sa tête.

Je veux bien rejoindre le monde des origines mais sous la forme d'un pèlerinage lent et majestueux.

Je ne séjourne jamais dans un lieu déserté par les oiseaux. Les oiseaux rêvent autant que les hommes mais moins que les félins.

Je n'ai jamais voulu être autre chose que le chat noir d'un scribe de Kemet.