Voici ce qui est arrivé. J'aime voyager seul mais je ne néglige pas des compagnons occasionnels rencontrés sur le chemin. Certains sont des hommes, d'autres des dieux ou des génies de l'entre- deux- mondes ou encore des assemblages de nature hétéroclite ou purement circonstancielle.
Je l'ai rencontré dans un wadi à sec où il était sur le point de mourir de soif. Je n'avais jamais eu affaire à quelqu'un comme lui. A peine réhydraté, il me demanda d'où venait l'eau que je venais de lui faire boire. D'un puits creusé par nos ancêtres non loin d'ici, répondis-je. Tu m'as sauvé la vie, sans toi je serais maintenant une vieille peau desséchée dans la splendeur du désert. Pout te remercier, je t'invite à diner.
Il sortit de son sac du pain tendre, des dattes, des rayons de miel et des fruits impossibles à reconnaître. Cette collation était copieuse et savoureuse. Quand nous fûmes rassasiés, il m'invita à le suivre en direction d'un village où il avait prévu de faire halte à la nuit tombée.
Je lui demandai comment un homme aussi prévoyant que toi avait négligé d'emporter une réserve d'eau ?
Pour que tu aies l'occasion de m'offrir à boire et de prouver ta générosité.
iI ne prononça plus un mot tout au long du chemin. J'étais ravi, je déteste parler en marchant ou écouter quelqu'un qui pérore.
La famille de paysans qui nous accueillit, épuisée par les travaux des champs, alla se coucher de bonne heure. Je me demandai au bout d'un moment si elle existait vraiment.
Une fois seuls, il me demanda :
- Que fais-tu dans la vie ?
- Je suis le juge du XXe nome de Haute Egypte.
- Qu'est-ce qu'un juge vient faire dans le désert ?
- Il tente d'écarter de son esprit les voleurs, les assassins; les violeurs qu'il côtoie tous les jours dans son tribunal et qui épuisent son KA, sa joie de vivre, son envie de croire en l'existence de dieux bienfaisants.
- Au fond, ton office de juge ne t'apporte que des désagréments.
- Comme beaucoup de métiers, il me prend trop de temps et je crains de ne pas être un serviteur fidèle de la Maât.
- C'est donc pour cela que tu préfères marcher que juger.
- Oui, j'aime vagabonder et laisser venir les choses tandis que défilent les paysages et mes pensées.
- Où voudrais-tu encore aller ?
- A l'autre bout du royaume.
- Henen Nesout est la capitale de ton nome. On y trouve un temple exceptionnel du dieu Héryshef. L'as-tu déjà visité ?
- Non, mais il est tout proche de chez moi alors j'ai tout mon temps pour l'investir.
Nous avions vidé notre cruche de bière, il était déjà tard, il me souhaita une bonne nuit.
Je fus réveillé par les premiers rayons du soleil entrant par la porte ouverte.
La maison était silencieuse, les paysans travaillaient déjà dans les champs, mon compagnon s'était évaporé.
En le cherchant, je trouvai par terre un fragment de papyrus sur lequel était écrite cette phrase en caractères hiératiques :
N'attends pas, entre au plus vite dans le temple d'Héryshef sinon tu risques de mourir idiot.
Comments