Il vivait retiré dans une caverne des montagnes de la péninsule du Sinaï, un massif aride que l'on estime consacré à la lumineuse Hathor mais qui est aussi un territoire d'Héka.
Nesptah était un serviteur d'Héka. On traduit Hem par serviteur du dieu, le mot désigne aussi un prêtre.
Héka est un netjer trop ancien et trop fluide pour être appréhendé par un esprit ordinaire, même s'il est porté sur la métaphysique et le fantastique. Ne serait-il pas lui-même le créateur du Démiurge ? Il est et il n'est pas l'inventeur de la création. Il fluctue entre l'être et le non-être, entre ce qui existe, ce qui a existé et ce qui n'existe pas encore.
Dans le silence et la pénombre de sa caverne Nesptah attira l'attention d'Héka. Cet ermite aux senteurs âcres lui plaisait, lui, un dieu tiré à 4 épingles, adepte du luxe et des richesses de la terre et du ciel. Il se promenait dans le désert sous la forme d'un lion dont on ne voyait que le train arrière, des cuisses puissantes qui permettent aux félins de faire des bonds prodigieux.
Héka entretenait avec Nesptah des rapports très étroits. Il lui permettait d'entrer dans les modes de pensée des hommes qui sont les petites rognures de la création, plutôt futés mais potentiellement dangereux et nocifs.
Héka est une entité pensante capable de mettre en symbiose les éléments de l'univers : le visible et l'invisible, le tendre et le dur, le bien et le mal, le réel et le virtuel, le haut et le bas, le serpent et l'oiseau, le sec et l'humide, le feu de roue et le feu secret des Sages, l'intuition et l'action, le beau et l'infâme, l'angélique et l'infernal, le thotien et le séthien, l'organique et l'inorganique, le temps cyclique et le temps du rêve, la délectation dans le noir ou en pleine lumière, les pulsions de vie ou de mort.
Parfois Héka devenait un rebis, il pouvait être des jumeaux androgynes ou des entités radicalement autres.
Cette caverne était le creuset de métamorphoses lentes ou fulgurantes.
De temps à autre, un pèlerin audacieux tentait d'approcher Nesptah afin de le consulter sur les problèmes existentiels. Il se faisait recevoir à coups de pierres et d'injures. Nesptah lui hurlait qu'il n'était pas assez ouab et qu'il ferait mieux de retourner à ses dieux indigestes et menteurs.
Mais une nuit se présenta un pèlerin d'une autre qualité, un certain Amenhotep Fils de Hapou.
Il le mit dans l'embarras en précisant :
Ce n'est pas Héka que je suis venu voir mais toi qui n'a pourtant rien d'un fidèle serviteur. Tu es sale et repoussant, atrabilaire, peu enclin à délivrer des messages éclairants. Tu te caches car tu ne veux pas partager Héka aves les autres. Tu ne veux pas savoir qu'il peut passer à travers les parois du vase et s'échapper du naos d'un temple qu'on n'a pas construit pour lui.
Nesptah ne goûta guère ce discours et répliqua : Tu es un esprit pertinent, scribe royal. Tu me provoques pour que je te dise ce que je sais ou ce que je crois savoir du maître de la Magie. Ne compte pas sur moi pour le faire. Héka est tout ce qui est, il est impossible à comprendre. Tu peux courir après lui, Amenhotep, tu ne le rattraperas jamais. Sous son masque, il n'y a rien d'autre que ton visage. Les Mages le savent bien quand ils prononcent son nom pour conjurer un mauvais coup du sort. La vérité ne se rencontre que sur les chemins qui bifurquent. Rusé Amenhotep, tiens-toi dans la main d'Héka et tu auras bien des surprises. Il est le seul qui invente de nouvelles lois, de nouvelles formes, des étonnements inédits. Il affirme sans le prouver que l'on peut tout créer à partir de rien.
Le Fils de Hapou fut très satisfait de cette dernière révélation et repartit d'un cœur léger.
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