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Entretien avec le Vizir



Padiamon était un homme séduisant, avenant, cultivé mais il avait le tort de penser que les questions qu'il posait avaient toujours de l'importance. En fait, il aimait se jouer des autres, les manipuler, les obliger à reconnaître leurs erreurs, à avouer ce qu'ils avaient sur le cœur.


Sans être prêtre, il travaillait dans un temple mais je ne saurais vous dire ce qu'il y faisait exactement. Il avait une tête d'intendant mais on voyait bien que les choses matérielles ne le concernaient guère. Son côté onctueux faisait plutôt de lui un habile profiteur, un parasite usant des milles formes de la séduction et du discours.


Son emploi du temps dans le temple l'occupant peu, il en profitait pour s'introduire dans la demeure des puissants et riches notables de Waset, le Vizir, le Chancelier du Trésor, le Médecin des jeunes princes, le Premier Prophète de Montou, le Chef de la Charrerie royale ou celui des Archers. Tous appréciaient son naturel, ses bonnes manières, ses airs de ne pas y toucher. Ils aimaient passer en sa compagnie des moments de détente qui leur permettaient de bien supporter leurs lourdes tâches.


Nous sommes dans la demeure du Vizir.

Padiamon et lui s'entretiennent autour de quelques coupes de bon vin.

- Padiamon, as-tu déjà fréquenté le palais royal ?

- Seigneur, non, je n'ai jamais eu cet honneur.

- Penses-tu que le danger soit un bon appât ?

- C'est un appât irrésistible pour les téméraires.

- As-tu déjà entendu parler de psychologie cognitive ?

- Je ne comprends même pas ce que ça veut dire.

- Peu importe mais c'est une idée qui fera son chemin.

Serais-tu capable de tuer un homme de sang-froid ?

- Que veux-tu dire ? Tu cherches un tueur à gages ?

- Un vizir serviteur de Maât ne ferait jamais une telle proposition.

- Ta demande est pourtant tout à fait ambiguë.

- Ne sois pas insolent.

- Que Seth m'en préserve, dit-il en regardant le plafond. Je cherche seulement à comprendre.

Par exemple, j'aimerais savoir si tu tiens le même discours en public et en privé ?

- Personne ne fait cela. Le public et le privé sont deux domaines bien séparés.

- T'est-il arrivé en tant que juge de condamner un homme que tu estimais innocent ?

- Jamais, enfin j'ai eu parfois quelques doutes. Au fond, on remet un condamné entre les mains des dieux.

- Les dieux ont bon dos !

- Serais-tu un impie qui ne croit pas à l'amour que les dieux portent à leurs créatures ?

- Je pense qu'ils ont mieux à faire et que nos offrandes les laissent indifférents.

- Tu vas trop loin, Padiamon. Sans le système d'échanges que sont les offrandes, le royaume irait à vau-l'eau.

- Ce sont les prêtres qui mangent les gigots, les canards, les oies, les fruits et les légumes posés sur les tables d'offrandes.

- Tu vas aussi prétendre qu'ils dévorent les fleurs.

- Non, ils les offrent à leurs épouses bien aimées.

- Tu es un idiot. Le fumet des offrandes va aux narines des dieux qui vivent de leur quintessence.


Très contrarié, le Vizir se leva en disant :

- Tu es un homme dangereux Padiamon, tes propos sont subversifs. Contrairement à ce que je croyais, tu n'es pas de bon conseil. Adieu et fais quand même un jour heureux.

- Attends Seigneur, pardonne-moi mais je ne quitterai pas ta maison sans savoir qui je dois éliminer.


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